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Appréhender l’incertitude en temps de pandémie

Depuis 2020, la souffrance de l’incertitude au quotidien


Aujourd’hui, au bout d’un an d’épidémie du covid, l’incertitude est omniprésente dans tous les secteurs de la société, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les relations internationales.


Les masques sont-ils utiles ? Va-t-on être confinés ? Vais-je perdre mon emploi ? Les écoles vont-elles rester ouvertes ? Est-ce qu’on va pouvoir partir en vacances ? La chloroquine, ça marche ou pas ? A la rentrée, ça ira mieux ? Ce concert déjà reprogrammé va-t-il enfin avoir lieu ? Et le vaccin, c’est pour quand ? Est-ce qu’il est fiable ? Est-ce qu’on reconfine ?





Cette invasion de l’incertitude n’est agréable pour personne et est plus difficile à vivre pour certains que d’autres. Ne pas pouvoir se projeter dans le futur est fatiguant et parfois décourageant. Pour beaucoup de monde, l’incertitude mène à un sentiment de ras-le-bol généralisé et la routine quotidienne sans loisir donne le sentiment d’un jour sans fin.


De plus, aujourd’hui, l’incertitude dans laquelle nous vivons est multiple :

  • Incertitude face aux mesures politiques : port du masque, confinement, couvre-feu, ouverture ou fermeture de tels ou tels lieux…

  • Incertitude face aux connaissances scientifiques : mode de transmission du virus, gravité de la maladie, cas asymptomatiques, efficacité et sécurité du vaccin

  • Incertitude face à son propre futur : travail, école, vacances, déplacements…


Il est frappant de voir, depuis le début de l’épidémie, l’intolérance de certaines personnes face à l’incertitude des experts et gouvernants. Accepter que les « sachants » ne sachent pas semble impossible pour les plus attachés à la certitude.


A ce sujet, le sociologue Edgard Morin explique dans une interview du CNRS que notre civilisation nous a inculqué un besoin de certitudes toujours plus nombreuses sur le futur. Pourtant, vu le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, il serait plus adéquat pour notre santé mentale de nous habituer à l’incertitude. Pour la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, la tolérance au risque et à l’incertitude est d’ailleurs un marqueur pertinent d’évaluation de la santé psychique.


« Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille. » Edgard Morin

Selon elle, nos vies étaient jusqu’à présent plus douces que celles de nos grands-parents, nous avons moins été confrontés à la possibilité de la mort et nous sommes donc particulièrement mal armés pour faire face à une situation telle que la pandémie mondiale. La psychologue Marie de Hennezel parle même d’un « déni de mort » qui régnerait dans la société depuis la fin de la guerre et qui nous fait ignorer tout ce qui relève de notre vulnérabilité.


Changer de regard sur l’incertitude


Mais l’incertitude est-elle si négative ? Le titre du nouvel ouvrage de Dorian Astor, La passion de l’incertitude, laisse penser le contraire. Selon l’auteur, l’incertitude est une souffrance mais il existerait une incertitude « tempérée » positive, qui permettrait de trouver un équilibre entre le fanatisme, c’est-à-dire la certitude pure, et le relativisme, l’incertitude totale. Pour Cynthia Fleury également il faut trouver l’équilibre tout en nuance entre incertitude et certitude. En effet, trop d’incertitude créée un sentiment de panique et peut pousser à vivre sa vie en « pilotage automatique », mais trop de certitudes provoque des comportements psychorigides, dogmatiques et rend les personnes incapables de s’adapter.


Cette idée que l’incertitude peut être très positive est présente chez de nombreux philosophes : pour Nietzsche, « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou », pour le neuropsychiatre Boris Cyrulnik « L’incertitude est créatrice, la certitude est mortifère ». Toutefois, la position de ce dernier semble avoir évolué, il disait dans une récente interview : « Quand il y a incertitude, il y a un risque d’aspiration à la certitude, c’est-à-dire aux régimes totalitaires. » La pandémie mondiale nous oblige à nous confronter à la réalité : l’incertitude peut être créatrice mais est aussi très inconfortable. Cependant, l’idée que la certitude, l’absence totale de doute, soit une caractéristique des régimes totalitaires, qui n’acceptent aucunes opinions divergentes, permet de relativiser la gravité de l’incertitude. Finalement, ne vaut-il pas mieux avoir trop de choix qu’aucun choix ?


Comment apprendre à vivre avec l’incertitude ?


« Il n’y a qu’un chemin pour notre bonheur, c’est de cesser de nous tracasser pour des choses qui ne dépendent pas de notre volonté » Epictète

Au vu de ce que nous disent les philosophes, psychologues et sociologues, il va être important pour affronter les années à venir d’apprivoiser l’incertitude. Pour cela, nous pouvons suivre les enseignements des stoïciens. Pour eux, la voie du bonheur consiste à accepter le moment tel qu’il se présente et à ne pas se laisser contrôler par le désir du plaisir ni la peur de la douleur. Epictète, l’un des penseurs de ce courant, nous dit « Il n’y a qu’un chemin pour notre bonheur, c’est de cesser de nous tracasser pour des choses qui ne dépendent pas de notre volonté ». Cette maxime est un bon mantra pour accepter l’incertitude. Ce qui dépend de nous, c’est nos pensées, nos jugements, nos désirs et notre volonté. Ce qui ne dépend pas de nous c’est notre beauté, notre santé, notre place dans la société et notre destinée. Il s’agit donc d’apprendre à vivre les désagréments du quotidien avec plus de détachement. Pour Epictète et les stoïciens, nos frustrations viennent de nos jugements et de la façon dont nous nous représentons les choses. C’est donc en travaillant sur nous-même que nous pourrons vivre – au moins un peu – mieux la situation actuelle…et les suivantes.


Alice Lucas



Sources :


Cynthia Fleury : « On a vécu dans nos corps l’expérience de l’ »effondrement"". (2020, 22 décembre). Madame Figaro. https://madame.lefigaro.fr/bien-etre/cynthia-fleury-on-a-vecu-dans-corps-experience-de-effondrement-covid-sur-sante-mentale-221220-194209

Droit, R. (2020, 2 octobre). « La Passion de l’incertitude » , de Dorian Astor : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/10/02/la-passion-de-l-incertitude-de-dorian-astor-la-chronique-philosophie-de-roger-pol-droit_6054473_3260.html

Francis Lecompte, F. L. (2020, 6 avril). Edgar Morin « Nous devons vivre avec l’incertitude ». CNRS Le Journal. https://lejournal.cnrs.fr/articles/edgar-morin-nous-devons-vivre-avec-lincertitude

Hennezel, M. (2020, 4 mai). Marie de Hennezel : « L’épidémie de Covid-19 porte à son paroxysme le déni de mort ». Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/04/marie-de-hennezel-l-epidemie-de-covid-19-porte-a-son-paroxysme-le-deni-de-mort_6038548_3232.html

Hennezel, M. (2021, 8 janvier). « Notre réaction au Covid-19 montre que plus on dénie la mort, moins on tolère le risque et l’incertitude ». Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/08/marie-de-hennezel-plus-on-denie-la-mort-moins-on-tolere-le-risque-et-l-incertitude_6065549_3232.html

La Pause Philo. (2019, 18 janvier). « Il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous. » - Epictète. La Pause Philo. http://lapausephilo.fr/2019/01/18/il-y-a-des-choses-qui-dependent-de-nous-epictete/

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