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Les brevets : une épine dans le pied de l'Afrique ?


Bien que, en ce mois de mars 2021, la pandémie du Covid-19 ait coûté la vie à plus de 2,5 millions de personnes ; et que les pays riches aperçoivent désormais une lueur d'espoir au bout du tunnel, la plus grande partie de l'humanité continue de faire face à un sinistre scénario. Si l'on considère que le principal défi collectif de l'humanité est de mettre un terme à la crise sanitaire, il semblerait qu'elle ne mette pas en œuvre tous les moyens à sa disposition. En effet, la grande majorité des pays du Nord, dont l'Union Européenne (UE), rejette la proposition consistant à suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, le matériel de tests et les médicaments.


Les brevets protègent la propriété intellectuelle d'un produit afin qu'il ne puisse pas être copié. Lorsqu'une entreprise de l'industrie pharmaceutique découvre un médicament efficace, elle peut le faire breveter afin qu'aucune autre personne ne puisse le fabriquer. Les brevets incitent les entreprises à faire des efforts soutenus en matière de recherche, en leur assurant de bénéficier des fruits de cette recherche. Plus les bénéfices espérés sont grands, plus le montant des investissements en R&D et le nombre d'entreprises qui vont chercher à innover sera important. Une compétition pour la découverte s'instaure, chacune des entreprises espérant trouver la première.

Mais ce système a des inconvénients. Il participe a une duplication inutile des efforts de recherche. Une coopération en R&D aurait le mérite d'éviter ce gaspillage de ressources. De plus, le gagnant, titulaire du brevet, bénéficie alors d'un fort pouvoir de marché. L'entreprise peut contrôler la production du médicament, ce qui peut conduire à la formation d'un monopole lui permettant de fixer un prix élevé au remède par rapport à son coût de production. Cela crée une inégalité d'accès au traitement, notamment pour les pays en voie de développement.


La situation africaine


En Afrique, l'ampleur de l'épidémie du Covid-19 reste une grande inconnue. Le continent affiche un faible nombre de décès proportionnellement à sa population. Mais même si les gouvernements africains avaient dans l'ensemble rapidement réagi face au développement du virus au printemps 2020, ils semblent désormais touchés par une seconde vague plus meurtrière depuis le début de l'année 2021. Le taux de létalité lié au coronavirus en Afrique est d'ores et déjà de 2,6 % ce qui est supérieur à la moyenne mondiale. Sur le mois de janvier 2021, le nombre de décès sur le continent a fait un bond de 40 %.


Evolution du nombre de cas et de décès recensés imputés au nouveau coronavirus en Afrique. 27 mars 2021 - Reuters


L'Afrique a franchi le cap des 100 000 décès reconnus en février 2021. Mais les dépistages sont faibles et donc les chiffres certainement sous-estimés. Par exemple, la Tanzanie a cessé de transmettre des chiffres relatifs au Covid-19 depuis fin avril 2020. Dans la plupart des pays, les personnes ne sont pas testés avant de mourir même si des symptômes du Covid-19 sont dans certains cas visibles.

Carte mondiale de la pandémie. Nombre de morts dus au Covid-19 proportionnellement au nombre d'habitants du pays. 27 mars 2021. Le Monde

Sur cette carte mondiale, on voit alors que les pays africains les plus touchés sont ceux qui ont le plus de lien avec l'Occident : les pays du Maghreb et l'Afrique du Sud. Mais c'est aussi ceux qui ont la plus grande capacité de faire un état des lieux précis de l'impact de la pandémie sur leur population. Il faut prendre ces données avec des pincettes.


Néanmoins, le constat dans la lutte contre le coronavirus est implacable : l'écart du nombre de vaccins administrés se creuse entre les pays riches et les pays pauvres. Ce sont les mots du directeur général de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Adhanom Ghebreyesus, consterné face à cette situation qu'il juge « grotesque ». L'inégalité d'accès à la vaccination est criante. L'OMS a rapporté qu'au début du mois de février 2021, sur les 200 millions de vaccins administrés contre le Covid-19, 75 % des vaccinations ne concernent que 10 pays. Gavin Yamey, professeur aux États-Unis, affirme que 130 pays, regroupant 2,5 milliards de personnes, n'ont pas reçu un seul vaccin.



La crise sanitaire, terrain d'enjeux et de rapports de force géopolitiques, pousse l'OMC et l'OMS au cœur de la problématique des brevets.



Pour renverser l'ordre des choses, l'Afrique du Sud et l'Inde plaident devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour une levée temporaire des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et autres médicaments nécessaires à la lutte contre la pandémie pour qu'ils puissent être produits en masse et à un prix abordable. Cependant, la requête, qui a pourtant le soutien d'une centaine d’États, en est toujours au point mort et le texte proposé n'est toujours pas examiné. La motivation ne semble pas être unanime de la part des 164 pays membres de l'OMC.


Carte indiquant les pays qui soutiennent ou s'opposent à l'abandon des brevets Covid-19, datée du 3 mars 2021. MSF


De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer l'immobilisme de l'OMC. L'apathie générale est la conséquence de quelques puissants pays qui ne souhaite pas déroger à l'Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (Adpic). Ces voix appellent notamment l'UE à revoir les règles de protection de la propriété intellectuelle, en dénonçant qu'elles sont sources de danger pour tous car, vis-à-vis du Covid-19, personne n'est hors d'atteinte du moment où tout le monde n'est pas hors d'atteinte.

En mai 2020, le président Emmanuel Macron affirmait que, lorsqu'un vaccin contre le Covid-19 serait découvert, alors, il devrait bénéficier à tous «comme un bien public mondial». Or, la France et plus généralement l'UE, le Royaume-Uni, la Suisse, les États-Unis et le Canada semblent arc-boutés sur leur position et avancent deux arguments principaux. D'abord, il ne faut pas priver les laboratoires pharmaceutiques de leur motivation à innover et il ne faut pas décourager les investisseurs privés à s'engager dans l'industrie pharmaceutique. Ensuite, il existe déjà un mécanisme permettant de déroger à l'Adpic. Il avait été obtenu, au début des années 2000 dans le cadre de la lutte contre le SIDA, la possibilité de « casser » un brevet sans l'accord de son détenteur pour produire des génériques à plus faible coût et en grande quantité. Cette lutte fut acharnée. Ici, l'histoire semble nous faire un clin d’œil, par cette nouvelle confrontation ouverte qui est un rapport de force entre ceux qui soutiennent les droits de propriété intellectuelle sur les médicaments et ceux qui exigent l'accès à des médicaments moins chers pour sauver des vies.

Pour ces derniers, ne pas permettre la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle est l'aboutissement d'une politique commerciale qui place le profit avant la santé publique. De plus, il faut savoir que les entreprises pharmaceutiques ne bénéficient pas uniquement de fonds privés mais ont été largement soutenues par des milliards de dollars de fonds publics, principalement de la part des États-Unis et de l'Europe, pour le développement de leurs vaccins.



« Notre capacité à fabriquer des vaccins reste très limitée. Disposer de brevets ne changerait pas la donne dans la crise actuelle » William Kwabena Ampofo, président de l'Initiative africaine pour la fabrication de vaccins.


Cependant, la problématique est autrement plus complexe que d'outrepasser des brevets. Il ne suffit pas de rompre le monopole de certains laboratoires occidentaux sur le vaccin contre le coronavirus pour résoudre la crise sanitaire en Afrique.

L'Afrique est toujours dépendante. Le continent importe 99 % de ses vaccins. Le financement contre les principales maladies qui touchent l'Afrique est assurée en grande partie par des initiatives internationales que ce soit pour la diphtérie ou la poliomyélite. Sa capacité de production vaccinale est insuffisante. Le continent ne compte que 6 unités de production de vaccins qui se situent dans les pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie), au Sénégal, en Égypte et en Afrique du Sud. Et chacun de ces centres nécessiteraient une aide internationale importante pour produire rapidement un vaccin anti-Covid, notamment au niveau de l'accompagnement technique et de l'investissement nécessaire. Ainsi, il ne suffirait pas uniquement de disposer des brevets.


Il convient de nuancer ce propos car la levée temporaire des droits de propriété intellectuelle permettrait d'améliorer l'accès non seulement aux vaccins mais aussi à tout le matériel médical utilisé dans la prévention du Covid-19 comme les tests PCR ou les masques chirurgicaux dont les prix sont inabordables pour les pays pauvres.


Les Africains déplorent aussi la faible volonté politique de leurs dirigeants dans le développement de politiques sanitaires durables. Ils ont faiblement investi dans le budget national destiné à la santé. Ils n'ont pas appuyé le développement d'une industrie pharmaceutique locale.


Quelles solutions possibles ?


Elles pourraient venir des organisations internationales. L'opportunité pour l'Afrique viendrait peut-être d'en haut, au niveau de l'OMC. C'est précisément à l'africaine Ngozi Okonjo-Iweala, nommée à la tête de l'OMC, de pousser, durant ce mois d'avril 2021, les industriels, les bailleurs de fonds et les gouvernements des pays du Sud à s'organiser pour que la vaccin contre le Covid-19 devienne enfin un « bien public mondial ».

L'OMS a, quant à elle, mis en place le mécanisme de solidarité Covax qui vise à assurer gratuitement la vaccination de 20 % de la population de 92 pays défavorisés d'ici la fin de l'année 2021. Par exemple, ce sont 600 millions de doses promises pour le continent africain mais, au 22 mars, seulement 15 millions de doses avaient été livrées. Cette initiative fondée sur la charité est, certes, positive mais bien trop lente pour pouvoir résoudre les problèmes d'approvisionnement.

L'OMS a aussi développé, depuis juin 2020, le programme C-TAP pour accélérer la production de vaccins par un mécanisme mondial de partage volontaire des connaissances, des données et de la propriété intellectuelle des technologies de santé pour la lutte contre le Covid-19. Mais ce programme n'a pas reçu l'investissement politique et économique escompté.


Il convient aussi de réfléchir aux mécanismes de subventions de la recherche. Emmanuel Combe, vice-président de l'autorité de la concurrence, propose de passer à une subvention de la recherche ex-ante et non plus ex-post. Cela consisterait à adopter un système d'incitation alternatif au brevet. Les pouvoirs publics accorderaient ex-ante une subvention aux entreprises qui s'engagent à chercher un traitement. Avec cette solution, si une entreprise fait une découverte, elle n'aurait aucun inconvénient à la partager ce qui limiterait le risque de duplication des efforts. Le brevet deviendrait la propriété des pouvoirs publics qui auraient la pleine liberté de rendre le traitement accessible.


Mais dans la situation actuelle, il manque principalement du volontarisme politique. Le partage des technologies apparaît comme nécessaire pour la santé publique dans le monde entier tandis que l'Adpic la menace. La politique actuelle des pays du Nord pose à la fois des questions morales, avec notamment le devoir d'aider les personnes les plus vulnérables, mais aussi sanitaires.


Peut-on prendre le risque de ne pas accélérer le processus de vaccination face à l'émergence probable de nouveaux variants pouvant mettre à mal l'efficacité des vaccins existants ?


A l'horizon 2023, si le processus de vaccination n'est pas accéléré par la dérogation à l'Adpic, la moitié des pays du monde resterait encore dans le besoin et lutterait toujours contre la pandémie. Alors, de nouveaux variants, comme nous avons déjà pu le constater, pourraient émerger et mettre à mal l'efficacité des vaccins actuellement développés.


A l'horizon 2050, si l'on suit cette logique de non-coopération à l'échelle internationale notamment entre les pays du Nord et du Sud, alors on pourrait faire face à un risque systémique de crises sanitaires répétées à cause de l'apparition de nouveaux variants. Sachant d'autant plus que le modèle de développement des sociétés occidentales thermo-industrielles favorise l'apparition de pandémies par la déforestation et l'effondrement de la biodiversité, comme l'a pu le montrer ma camarade ayant analysée l'approche de Marie-Monique Robin et son ouvrage La fabrique des pandémies (2021).



Gabin Marjault



Sources :


- Photo d'en tête de Joel Saget - AFP.

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