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Beyrouth, « La ville qui refuse de disparaître »  : surmonter un séisme grâce au tissu social ?

Beyrouth : après avoir été reconstruite sept fois, son besoin de résilience et de durabilité a été crié en août 2020, quand une explosion au port à détruit une partie de la ville. Le 21 janvier dernier, un séisme de magnitude 4,9 sur l'échelle de Richter, y a été ressenti. La capitale du pays des Cèdres est en effet prise en tenaille entre des failles majeures, telle que la Grande Faille du Levant, et des failles secondaires. Et bien que la sismicité soit depuis plusieurs années, modérée, des études paléosismiques ont mis en avant le fait que les failles de Yammouné et du Mont-Liban risquaient de se mettre en mouvement. Mais Beyrouth n'est pas prête pour affronter un séisme de forte magnitude... Il n'y a qu'à voir la difficulté d'adaptation de la ville, des beyrouthin.e.s et du gouvernement face à la catastrophe industrielle d'août 2020, assimilée à un séisme de magnitude 3,14, pour le comprendre.




Taux d’endommagement estimé pour une accélération sismique de 0.25 g, ANR LIBRIS

Un pays au risque sismique élevé, par Eric Verdeil, Ghaleb Faour, Moulin Hamze, Atlas du Liban, Presses de l'Institut Français du Proche-Orient




Un tissu urbain inapproprié au risque sismique


La vulnérabilité de Beyrouth est d'abord liée à sa géographie :

- ville située près de failles sismiques

- la nature du sol sur lequel elle est construite la rend vulnérable : les « sols argileux », amplifieraient de par leur nature, les vibrations d'un séisme et leur durée.

Parallèlement, la fragilité du tissu urbain s'amplifie. Depuis les années 1990, pour faire face à l'accroissement discontinu de sa population, l'urbanisation verticale est favorisée. La fragilité des bâtiments, souvent vétustes, face à un séisme est d'autant plus grande que les pratiques de constructions (ex: les balcons en porte-à-faux), ne sont pas des plus sécuritaires. Les immeubles accolés et l'étroitesse des rues viennent poser question quant à la possibilité de se déplacer en cas d'effondrement des bâtiments : comment pourraient alors venir les secours ?

De même, le risque d'un accident industriel qui serait consécutif à un séisme est quasi inévitable, du fait de la répartition des stations service d'essence, ou d'autres matériaux inflammables, dans la ville.



Une organisation d'Etat capable de gérer le risque sismique ?


Nul besoin d'une analyse poussée pour comprendre que la gouvernance libanaise est malade. En novembre 2019, le « hirak », soulèvement populaire, dénonçait la corruption du gouvernement libanais, et l'incompétence des dirigeants. Leur manque de rigueur fragilise le territoire : outre l'absence de prévention des gestes à adopter en cas de séisme, les dirigeants n'incitent pas les constructeurs à appliquer le « code de sécurité publique » qui indique des normes architecturales parasismiques a respecter. Aucunes sanctions ne condamne les constructeurs en cas de négligence, malheureusement fréquente.



Quid de la gestion post-séisme ?


Cette incompétence criante à gérer le territoire s'est vérifiée en août 2020, de par l'incapacité à régir la crise humanitaire et financière. La situation économique du pays, où la livre libanaise n'a plus aucune valeur fait peur. Les instances au pouvoir n’ont pas les moyens financiers d’aider une population qui est déjà en souffrance. N'imaginons donc pas quelle serait la difficulté de venir en aide à la population en cas de séisme violent. D'ailleurs, il est percutant de rappeler qu'en août dernier, les hôpitaux de la capitale disent avoir reçu en quelques heures plus de 500 blessés dans leur service d’urgence et d'avoir été débordés.



Une population en capacité d'assumer un tel phénomène ?


Une vulnérabilité sociale et humanitaire est donc présente : la crise économique actuelle a fait passer 50% des libanais sous le seuil de pauvreté, qui luttent pour accéder aux ressources vitales et à un logement. Accentuée par la double explosion de l'été 2020, cette vulnérabilité est d'autant plus forte qu'elle voit la possibilité d'une crise alimentaire pointer le bout de son nez. L'explosion d'août 2020 a en outre détruit le principal silo a grains du Liban, anciennement situé au port de Beyrouth. En cas d'une catastrophe sismique, la capacité à « sauver » la population serait plus que limitée, puisque les ressources pour lui venir en aide sont quasi inexistantes !

Enfin, le comportement de la population face à un séisme viendrait aggraver ses conséquences : face à la relative modération des séismes actuels, les Beyrouthin.e.s ont une connaissance très partielle des gestes à adopter en cas de séisme. Rien qu'en août dernier, peu de personnes ont eu le réflexe d'évacuation, car peu connaissent les consignes de sécurité. Alors imaginons quelle serait l'ampleur des dégâts humains face à un séisme à forte magnitude !


COMPTER SUR LE TISSU SOCIAL POUR

REPONDRE AUX DEGÂTS ?


A l'instar de ce qui s'est produit après l'explosion de 2020, il apparaît certain qu'en cas de séisme, de nombreux ménages seront sans logements, et une relocalisation dans des « habitats d'urgence » sera de mise, confrontant les habitants, déjà dans des situations précaires à l'isolement. Heureusement, des initiatives solidaires sont porteuses d'espoir.


Un projet comme celui mené par l'association Bina Desa en Indonésie, après le séisme de 2018 pourrait venir atténuer cette vulnérabilité. Avec le soutien financier de la fondation de France, il a permis de :

  • construire, collectivement, des habitations temporaires dans le village de Pombewe. Les villages des montagnes libanaises, pourraient certainement faire de même.

  • créer du lien entre les populations, en s'appuyant sur une expérience agricole partagée : les familles ont eu accès à des terrains, et ont reçu des semences pour sortir doucement de l'assistance alimentaire. Appliqué au territoire Libanais, on pourrait utiliser des semences de figues, agrumes, olives ou avocats !


M. Lapiol, 67 ans, en pleine construction du toit d'un logement, Fondation de France


Toujours en Indonésie, la Fondation de France a également financé un projet porté par l'Association Tanah Merdeka : reloger les sinistrés, tout en :

  • formant et développant la prévention de la population concernant les risques sismiques.

  • créer, ensemble une « maison modèle », pour comprendre les techniques architecturales antisismiques, qui pourraient les sauver par la suite.


Comment mettre ces initiatives en place ?

Pour ce projet, il faut compter sur l'implication de plusieurs acteurs :

  • une association ou ONG locale qui devrait aller sur le terrain, vérifier l'avancée des initiatives.

  • Une fondation externe, serait utile pour fournir les financements et moyens matériels pour le projet.

  • La population civile interviendrait, en faisant connaître ses attentes et besoins.

  • Des experts et ingénieurs pourraient diffuser leur « savoir », notamment en ce qui concerne les gestes à adopter en cas de séisme, ou les techniques parasismiques.

Plusieurs temps seraient nécessaires :

  • Les associations locales devraient contacter les associations Indonésiennes et la Fondation de France pour leur demander quelles sont les « étapes à suivre » . A la suite de cela, elles devront faire un appel aux dons, afin de trouver des financements.

  • Lancer une campagne de communication : au sein des villages pour trouver des volontaires, et au sein de la population sinistrée.

  • A long terme, avec le retour des sinistrés, il s'agirait de favoriser l'implantation d'agriculture urbaine dans Beyrouth, et d'y diffuser les savoirs de comportements à adopter en cas de séisme, avec une sensibilisation accrue dans les écoles. Des associations pourraient être créées à ces fins.


Notons cependant que si le peuple libanais a souvent fait preuve de solidarité, ces solutions seraient à instaurer en amont d'autres mesures de prévention (adapter l'architecture, former la population...). Car ces solutions permettent de soigner les conséquences de la vulnérabilité sociale liée à l'aléa sismique, mais non de lutter contre les causes de cette vulnérabilité. D'autant plus qu'à l'échelle de la population beyrouthine, seule une minorité des sinistrés pourraient bénéficier de ce soutient.




Marianne ABRIOUX





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