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Hambourg : l’insubmersible quartier de HafenCity

Dans son article du 1er mai 2020, ma camarade Pauline Pied présentait comment, face au risque d’inondation, la ville de Nimègue aux Pays-Bas a décidé de faire place à l’eau dans la ville plutôt que s’obstiner à lui barrer la route. Nous faisons aujourd’hui lumière sur la ville portuaire de Hambourg, qui a opté pour une stratégie similaire.


Un port historiquement vulnérable aux inondations


Surnommé « l’entrée du monde de l’Allemagne », Hambourg est le troisième plus grand port commercial d’Europe. Mais la ville est également tristement célèbre pour sa vulnérabilité aux inondations, qui accrue ces dernières années sous la pression du changement climatique. Sans un pompage permanent, la plaine alluviale de Hambourg serait en effet naturellement presque inhabitable de septembre à avril. La construction de nouveaux logements a d’ailleurs été interdite dans le quartier historique du marché aux poissons qui se retrouve régulièrement « les pieds dans l’eau ».


Le quartier historique du marché au poisson (Fischmarkt) est régulièrement recouvert par les eaux, comme ici, en 2013. © Crédit photo : ARCHIVES AFP


La solution : endiguer la ville ?


Pour faire face au risque climatique, la ville s’est en premier lieu entourée de digues, formant ainsi un rempart à la montée des eaux. Mais dès les années 60, les inondations ont révélé la fragilité de ces installations. Le 17 février 1962, 60 digues cèdent sous la violence de la crue de l’Elbe, et plus de 300 personnes trouvent la mort. Les inspections des structures existantes ont révélé la nécessité de renforcer les fondations et les appuis des différentes barrières. Des études plus récentes réalisées à l’aide de simulations informatiques ont également permis d’analyser et de prévoir avec plus de précision les caractéristiques des inondations de la ville.


En 2019, l’aménagement de la Niederhafen River Promenade le long de l’Elbe, un boulevard piéton s’étendant sur plus d’1km, est venu moderniser et renforcer le système de protection de la ville contre les crues du fleuve. La promenade n’offre pas seulement une vue imprenable sur le port : elle constitue aussi une digue plus haute et plus solide que les précédentes, protégeant la ville des inondations jusqu’à une hauteur de 7,20m au-dessus du niveau de la mer. Un fluviomètre permet de surveiller le niveau de l’eau à l’entrée du centre-ville. Il s’agit du premier tronçon achevé du programme public de rehaussement et d’élargissement des digues mis en place par la ville. D'ici vingt ans, 103 kilomètres d'ouvrages devront tous être mis à la nouvelle norme.


La Niederhafen River Promenade


Si ces nouveaux dispositifs rassurent la population et les élus, qui tablent sur une protection efficace au moins jusqu’en 2050, les scientifiques ne sont pas aussi optimistes. Les études montrent que le niveau de l’Elbe devrait monter de 50cm d’ici 2100. Selon les experts, si le changement climatique n’est pas freiné, des crues de plus en plus violentes pourraient se produire tous les ans, fragilisant à chaque fois un peu plus la côte et son système de protection, qui n’a pas été conçu pour être utilisé aussi souvent. Faut-il alors construire un deuxième rempart de digues ? On le sait déjà : les digues ont leurs limites, et ne peuvent pas grandir indéfiniment. Faut-il alors construire un barrage géant à l'embouchure de l'Elbe ? Cela porterait atteinte aux activités portuaires, qui font la richesse de la ville. Le problème est donc complexe.


HafenCity : l’alternative aux digues


Complexe, mais pas insurmontable. Face à ces constats, une solution alternative a été expérimentée dans le quartier de HafenCity, qui a décidé d’intégrer la possibilité d’inondation dans la conception des bâtiments et des voies de circulation qui le parcourent.

Au début des années 90, l’inadaptation des bassins pour accueillir des navires toujours plus grands a conduit le port d’Hambourg comme de nombreuses villes portuaires à se déplacer pour conquérir des espaces plus vastes vers le secteur du Vieux Tunnel de l’Elbe. L’abandon de l’ancien site portuaire au cœur de la ville, une opportunité unique de redéveloppement urbain. Mais les caractéristiques particulières du site, entouré de tous côtés par le fleuve et des canaux, nécessitait de prendre en compte le risque de submersion.


Une « Floading City » construite sur des socles insubmersibles


Pour y répondre, les aménageurs ont fait un choix radical en déclinant le concept de « Floading City », ou « cité flottante ». A proximité immédiate du centre-ville mais à l’extérieur de la digue qui les protège, les 123 hectares terrestres de ce nouveau quartier sont construits sur des socles insubmersibles. Le projet combine l'utilisation de plusieurs techniques avec une organisation spécifique :


1. L’aménagement de « terps » : il s’agit d’un dispositif de plateaux artificiels destinés à surélever les bâtiments sur des fondations qui les portent à 8,3m au-dessus du niveau normal du fleuve. Les axes de circulation ont été construits en premier, et les investisseurs construisent maintenant chaque bâtiment au même niveau que le réseau routier qui a été réalisé suffisamment haut pour être protégé des inondations. Sur les côtés exposés au vent, le périmètre extérieur dispose d’une surélévation plus importante pour mieux résister.


Schéma des terps


2. Le concept de quai inondable est repris pour les bâtiments en bord des quais qui sont construits en porte-à-faux pour libérer un espace utilisable comme promenade en dehors des épisodes d’inondation. Une bande de 15 mètres de large sur les bords des quais historiques restaurés se trouve à 4-5 mètres au-dessous du niveau de la zone de HafenCity et fournit 10,5 kilomètres de promenades en bord de l’eau.


La promenade de quais submersibles


3. Il n’est pas permis de vivre aux étages bas, qui sont utilisés pour les restaurants et les bureaux. Les blocs d’appartements ont des niveaux d’accès différents pour faire face aux différents niveaux d’eau autour des blocs. Il existe également des voies d’évacuation sur différentes hauteurs pour garantir, si nécessaire, une évacuation sécurisée.


4. Sur certains secteurs, des espaces publics extérieurs ont été conçus pour être temporairement inondables, combinant l’intégration d’espaces de qualité et la préservation d’un paysage maritime.


Des espaces publics temporairement submersibles


5. Les places de stationnement sur les propriétés privées de HafenCity sont exclusivement souterraines, les garages souterrains jouant un double rôle d'infrastructure et de protection contre les inondations. Ceux-ci doivent être d’au moins un étage. En conséquence, aucun site supplémentaire pour les parkings hors sol n’est nécessaire, ce qui contribue également à l’utilisation efficace des surfaces au sol en tant que ressource.


La presqu'île se retrouve ainsi sur deux niveaux, reliés par des rampes et des escaliers. L’eau entre ainsi sans retenue dans les canaux qui quadrillent la presqu’île, au gré des marées et des tempêtes.


Quelle réaction en cas de crue ?


En cas de crue, le niveau bas sert de surface d'étalement, avec ses promenades historiques ; le niveau haut, où se trouvent rues et bâtiments neufs, est censé garder les pieds au sec. Pour les commerces en rez-de-chaussée et quelques entrées de garage de stationnement souterrains, des portes coulissantes en acier, étanches, complètent le dispositif.


Dès lors, selon les estimations, à HafenCity, si l’eau dépassait de 20cm le niveau maximum, le quartier se retrouverait « seulement » sous 20cm d’eau. Dans les mêmes conditions, le centre-ville qui se trouve en 1ère ligne serait lui inondé sous plusieurs mètres d’eau.


HafenCity peut alors continuer à fonctionner pratiquement sans restriction, même pendant une inondation et malgré sa situation de presqu'île.


Les planificateurs ont également pris en compte le fait que HafenCity pourrait être inondée dans des cas de crue particulièrement haute. Ainsi, l’installation systématique de fenêtres pouvant résister à des pressions d’eau élevées et les cloisons en acier doit permettre d’éviter que les vitres ne soient endommagées par d’éventuels débris flottants.


Un chantier sur le temps long


Toutes ces techniques permettent d’étaler ce colossal chantier dans le temps sans devoir préalablement le circonscrire derrière des digues, qui auraient en plus fait perdre le contact avec l’eau qui fait pourtant l’identité de ce quartier. Trente-cinq années seront nécessaires pour achever la reconversion de cet ancien site portuaire où environ 9 milliards d’euros auront été investis.


L’exemple de HafenCity montre ainsi qu’il est possible d’intégrer en amont le risque de montée des eaux à la conception des projets à l’échelle urbanistique et architecturale. Au-delà d’une simple stratégie d’adaptation face à une contrainte environnementale forte, cette stratégie de résilience offre également l’opportunité d’imaginer de nouveaux espaces, esthétiques et originaux.


Elsa Charrier



Sources :







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