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Moïse à la rescousse de Venise

La ville de Venise est connue pour son carnaval, son patrimoine, ses festivals d’art et d’architecture mais aussi pour son tourisme de masse. Pointé du doigt depuis plusieurs années par des vénitiens et par des association de préservation du patrimoine et du folklore, le tourisme pourrait disparaître avec l’engloutissement de la ville, particulièrement soumise à la montée des eaux et à son insularité. La mer s’attaque à la ville de deux manières bien distinctes : le territoire constitué de 121 petites îles s’affaisse inexorablement (ce qui peut mener à une submersion complète à terme) mais elle est aussi soumise à des inondations ponctuelles appelées Acqua Alta contre lesquelles tentent de lutter le système de digues Moïse.


Attention donc à la distinction entre inondation et non à la submersion bien que les deux phénomènes soient intimement liés.



Source : levif.be © Belga


Acqua Alta

Périodes d’inondations ponctuelles de la ville de Venise causées par les marées, les Acqua Alta ont pour conséquence la submersion d’une partie plus ou moins grande de la zone urbaine insulaire. Ces phénomènes de submersion ont plutôt tendance à toucher la partie la plus basse de la ville c’est-à-dire le quartier très touristique de San Marco et durent généralement deux à trois heures soit le temps d’une marée.

Elles sont donc causées par un niveau de marée particulièrement soutenu, lui-même déterminé par la marée astronomique (le mouvement des astres qui peut être calculé avec grande précision sur plusieurs années) et par la météo (qui elle ne peut être élaborée qu’à travers des modèles statistiques approximatifs et de court terme).



Dangers et adaptation

Impressionnantes parce qu’elles submergent une partie du quartier de San Marco, ces hautes mers n’ont finalement que peu d’influence sur le quotidien des Vénitiens qui s’y sont habitué et ont pris l’habitude de mettre en place des passerelles pour permettre aux habitants (et surtout aux touristes) de continuer de circuler.



Passerelles autour d'un palais, en situation de Acqua Alta

source : Blog Lauraenvoyage


Mais Au-delà d’offrir de jolis clichés de la fameuse place Saint-Marc partiellement engloutie, l'Acqua Alta pose divers problèmes. Les conséquences sont en effet moins importantes pour la vie quotidienne des touristes et des vénitiens que pour la détérioration inexorable des monuments historiques dont la pierre et la briques souffrent de l’eau et des produits nocifs qu’elle peut contenir. L’Unesco a d’ailleurs exhorté la municipalité à agir contre ces inondations pour préserver le patrimoine mondial que constituent les bâtiments et les canaux.

Le territoire est soumis à des facteurs aggravants :

- Géographiquement, la mer Adriatique sur laquelle donne la lagune vénitienne est « en cuvette » ce qui la soumet à des amplitudes de marée plus importantes que le reste de la mer Méditerranée. Elle souffre aussi d’un phénomène général de subsidence (affaissement naturel du terrain).

- On incombe également l’aggravation des situations d’acqua alta à la construction du port industriel de Marghera situé à l’entrée de la ville. La construction du « canal des Pétroliers » a augmenté la section de l’embouchure du port ce qui a mécaniquement augmenté la quantité d’eau entrant dans la lagune.

- Le changement climatique global qui entraine l’élévation des mers est réputé comme intensificateur des inondations : point de vue majoritairement reconnu dans la communauté scientifique internationale mais que certains spécialistes contestent.


Le système Moïse à la rescousse

La solution pour laquelle le gouvernement italien a choisi d’opter est celle d’une digue artificelle nomée « MOSE » (acronyme de MOdulo Sperimentale Elettromeccanico, «module expérimental électromécanique») et « Moïse » en italien qui a fonctionné pour la première fois en 2020.


source : Courrier International


Lancé en 2003, d’un budget total de 7 milliards d’euros et entaché d’un scandal de corruption ayant mené à l’arrestation de trente personnes pour pots-de-vins, le mécanisme de protection de la lagune a pu être utilisé pour la première fois après des journées de pluie et de vent sirocco le 3 octobre dernier. Les digues mobiles remplies d’eau reposent au fond de trois passes de la lagune et sont redressées lorsque le niveau dépasse 110 cm. Elle permettent donc à la lagune d’être isolée.



Principe de fonctionnement et positionnement des différentes passes sur la lagune

Source : Wikipedia


Cet ouvrage fait partie du Programme général d’intervention du ministère des Infrastructures italien et de la magistrature des eaux de Venise initié en 1987. En même temps que les travaux du MOSE, la commune de Venise procède actuellement à des interventions de surélévation des rives et des pavages pour défendre les agglomérations lagunaires contre les hautes eaux et les moyennes eaux.


Bien qu’il semble fendre l’eau comme une solution miraculeuse, on reproche au système de digues Moïse de ne pas être entièrement satisfaisant. Pour commencer, son coût d’investissement, qui a largement augmenté pendant la construction pour travaux collatéraux et malversations (presque 1 milliard d’euros) exaspère de nombreux italiens. Son coût de fonctionnement (système de surveillance et de maintenance 24/7) et le fait qu’il n’empêche que les inondations les plus importantes sont également des facteurs de réserves quant au projet. De nombreux scientifiques alertent également sur les conséquences dramatiques qu’il pourrait avoir sur l’écosystème de la lagune et sur le fait qui si les prévisions sur l’élévation moyenne de la mer sont valables, il faudrait à terme activer Moïse tous les jours ce qui le rendrait rapidement obsolète.


La barrière de la tamise

Parmi les expériences similaires à celle-ci, la barrière de la Tamise à Londres achevée en 1984 fait référence et constitue un autre bon exemple d’ouvrage de génie civil qui a pour but de protéger une grande ville des inondations maritimes. En effet, la ville de Londres a longtemps été très vulnérable aux inondations avec le double phénomène des tempêtes venant de l’Atlantique puis de la mer du Nord conjugué à la tendance à l’affaissement du sud de l’Angleterre. Utilisée 6 à 7 fois par ans, la barrière ne devrait pas être renouvelée avant 2070 d’après un refus de projet de renouvellement du ministère de l’environnement en 2013.



Venise n’est pas sauvée

En effet, la montée des eaux n’est pas la seule menace qui pèse sur la lagune : le tourisme de masse a longtemps été pointé du doigt comme néfaste pour l’équilibre économique de la ville (vidée de ses primo habitants contraint de quitter une ville où la majorité des bâtiments sont destinés au tourisme et qui compte habituellement 1 habitant pour 400 touristes). Et la crise sanitaire qui a vidé Venise de toute activité touristique illustre funestement ce déséquilibre. Autre tare de la lagune, les énormes navires de croisière dont le passage très polluant provoque d’important remous qui contribuent à l’érosion et à la fragilisation des fondations de la cité bâtie sur pilotis. Le passage des navires de plus de 40 000 tonnes est théoriquement interdit depuis un décret de mars 2012 mais il est encore largement ignoré. De nombreux citoyens souhaitent leur interdiction complète et définitive mais la légère modification de leur itinéraire lagunaire en 2019 illustre la dépendance économique de la ville au secteur du tourisme de masse.


Elise Farrell






Sources

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