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D’une terre de glace à une terre de feu : la Sibérie en proie aux incendies

Dernière mise à jour : 21 juil. 2020


Depuis une dizaine d’années, notre Terre brûle. Presque partout, la « forêt brûle »1. En 2019, nous avons vu des forêts boréales situées dans le cercle polaire arctique brûler sur des millions d’hectares. Nous avons vu des régions de la Californie, de l’Amazonie ou encore de l’Australie se recouvrir de flammes vives, puis disparaître sous d’épaisses fumées noires. Tous ces feux sont d’une ampleur, d’une force, et provoquent de tels ravages que le néologisme « méga-feu » est apparu pour répondre à notre désemparement linguistique pour les décrire.

Si la survenue d’incendies en Sibérie est un phénomène qui se produit fréquemment, la puissance et l’étendue sur laquelle ils se sont propagés ces dernières années relèvent d’un fait historique. En 2019, ce sont plus de 12 millions d’hectares qui ont été avalés par les flammes. Selon une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS), ces dernières décennies, les forêts boréales brûlent à un rythme jamais atteint depuis au moins 10 000 ans.


Des causes climatiques et météorologiques aux causes politiques

Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, établit, dans certaines régions comme la Sibérie, un lien direct entre réchauffement climatique et grands incendies. Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), « dans les zones sibériennes en proie aux incendies, la température moyenne du mois de juin (date de déclenchement des incendies de 2019) a été supérieure d’environ 10°C à la normale de la période 1981-2010 ».

Si les hautes températures ont favorisé l’embrasement de la taïga, les vents forts ont quant à eux accéléré la propagation des feux sur d’importantes étendues, atteignant ainsi des espaces forestiers déjà sinistrés auparavant, et donc moins robustes aux flammes.

Par ailleurs, Greenpeace Russie pointe du doigt la responsabilité d’une législation inadaptée dans l’ampleur de ces incendies. Le nouveau code forestier, promulgué en 2007 par le gouvernement russe, transfère la responsabilité de la surveillance et de la gestion des forêts aux autorités et organismes privés locaux. De plus, la législation forestière prévoit aussi la possible inaction des autorités contre les incendies si les coûts estimés sont supérieurs aux dommages causés par les incendies et dans les zones dites « de contrôle », i.e dans les zones isolées et non habitées. Selon Anton Benelavsky, expert dans les feux de forêt au sein de Greenpeace Russie, le problème de cette loi tient dans le fait que la définition de ces zones est parfois mal exécutée et l’inaction, légalisée par ce dispositif législatif, favorise le développement de feux d’ampleur, impossible à stopper par la suite.


Les conséquences lourdes des incendies sibériens


  • De la conséquence à la cause du réchauffement climatique

Ces feux, conséquence du réchauffement climatique, vont devenir une partie de la cause du réchauffement climatique. En effet, les forêts sibériennes, comme toute grande forêt, constituent un réservoir de carbone colossal. La combustion des arbres et des tourbières libère dans l’atmosphère le CO2 qu’ils stockaient. Par ailleurs, se cache en dessous de ces forêts le pergélisol, un sous-sol glacé en permanence, contenant une matière organique qui concentre une quantité importante de méthane. Or ce gaz possède un pouvoir de réchauffement climatique 25 fois supérieur à celui du CO2. Dès lors, la fonte de ce pergélisol, que les incendies entraînent, provoque la libération d’importantes quantités de ce gaz à effet de serre.


  • Des fumées aux impacts désastreux

A ces conséquences catastrophiques sur le climat s’ajoute le dépôt de particules, contenues dans les fumées, sur les glaces arctiques, qui, devenant, moins blanches, réfléchissent moins bien le soleil, ce qui accélère conséquemment leur processus de fonte. Ces fumées sont aussi la source d’une pollution importante de l’air représentant un large danger sanitaire pour les populations environnantes.


La ville sibérienne de Novossibirsk sous les fumées des feux de forêt, le 25 juillet 2019.

  • Un danger pour la biodiversité de ces espaces naturels

Enfin, les flammes mettent aussi en péril l’ensemble des animaux habitant dans la taïga et laissent derrière elles une terre inanimée.


Mieux lutter contre ces monstres de feu


1. La nécessité d’une action rapide


Dans la lutte contre les feux, il est primordial d’agir dans les premières heures suivant la déclaration de l’incendie. Plus on attend, plus il consomme une masse importante de combustibles, et devient hors de contrôle. Ainsi, même si un incendie est déclaré dans une zone faiblement peuplée, et difficile d’accès, l’octroi rapide des moyens pour gérer l’incendie à sa source est indispensable.


2. Favoriser un système de protection centralisé


Depuis le nouveau code forestier de 2007, la stratégie de protection des forêts est axée sur une responsabilité des pouvoirs locaux. A priori, cette stratégie serait la garantie d’une prise de décision par des acteurs locaux, plus informés sur les spécificités du territoire environnant. Cependant, cette stratégie ne semble pas porter ses fruits en Sibérie. La mise en place d’un système de protection centralisé des feux est donc conseillé pour mettre en place une meilleure gestion des incendies, grâce aux possibles transferts des forces, des ressources et du matériel d’une région à l’autre en fonction des besoins.


3. Agir contre le réchauffement climatique


Etant donné que ces méga-feux s’expliquent grandement par le réchauffement climatique, l’action politique doit se focaliser sur un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de limiter l’augmentation de la température moyenne planétaire en dessous de la barre des 3°C. Pour cela, il est nécessaire que l’ensemble des pays enclenchent une transition énergétique, visant la sortie des énergies fossiles au profit du développement d’énergies renouvelables mais surtout d’une diminution de notre consommation énergétique. La priorité est au changement de modèle économique, pour se tourner vers plus de sobriété. Cela implique concrètement de repenser les politiques publiques en y intégrant la dimension environnementale dans l'ensemble des domaines, comme celui des transports (favoriser l’accès aux transports en commun, les aménagements pour les déplacements doux, diminuer le trafic aérien et automobile, etc.) ou de l’agriculture (diminuer l’élevage intensif, favoriser des circuits courts, etc.), qui sont les deux principaux domaines responsables de l’émission des GES.


Etant donné que la Russie représente le troisième pays producteur de pétrole et le quatrième pays le plus émetteur de CO2, elle a un grand rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique - notamment si ces dirigeant.e.s ne souhaitent pas voir de plus en plus d'hectares de leur pays partir en fumée -.


Louise LE PROVOST


1 : Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique, Joëlle Zask, Premier Parallèle, 2019



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