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Dans les forêts de l’Est, la nouvelle guerre contre le feu


En mai 2020, Dernières Nouvelles d’Alsace rapporte un incendie de « seulement » trois hectares dans la forêt d’Haguenau – peu, comparé au 145 hectares de cette même forêt en 2004. Aujourd’hui classée sous le label « Forêt d’Exception » de l’ONF, elle est l’une des plus grandes forêts d’Alsace, et l’un de ses points sensibles, avec des milliers de pins sylvestres. Malgré une gestion stricte se rapportant au label, on y craint tout de même la récidive du feu .

Car dans les massifs de l’est, les dérèglements climatiques rendent les forêts vulnérables aux incendies estivaux, de la même manière qu’elles le sont déjà au Sud. Le lieutenant-colonel Milanesi du Service Départemental d’Incendie et de Secours 68 explique qu’ils sont « aussi violents et dangereux que dans le Sud du pays ».



Un incendie représente tout d’abord un risque sur les vies humaines et animales. Le danger immédiat se rajoute aux risques sanitaires engrangés par les polluants issus de la combustion.

Mais les feux ont également des impacts économiques en réduisant à néant du foncier, des récoltes alimentaires et sylvicoles. Dans la plupart des cas, les pertes dûes à la catastrophe naturelle sont indemnisés, mais il faut les faire reconnaître.

Les feux de forêts, s’ils prennent une dimension dramatique (on parle désormais de « mégafeux ») dépassent les seuils de résilience écosystémique. Contrairement aux feux « naturels » ou à la pratique du brûlis par exemple, ils polluent les sols et les nappes phréatiques, empèchant durablement à la végétation de repousser, sinon à un état plus ras ou mixte.


Dans le sud de la France, la garrigue (végétation rase) est typique du terrain calcaire mais sur certains terrains, elle s’est établie après des déforestations à buts miniers au cours du 19è siècle.




Pourquoi autant s’inquiéter du feu ? Déjà parce qu'il est lui-même symptome d'autre chose. La région Est n'est pas habituée aux feux, c'est souvent l’aboutissement de plusieurs risques engrangés. Les arbres subissent des vagues caniculaires doublées de stress hydrique ; provoquant dessèchement des feuilles, des branches et enfin des troncs. Les sécheresses sont un phénomène à différencier des vagues de chaleur, mais les deux s’accroissent chaque année. Les aires les plus exposées au risque incendie sont des parcelles de forêts séchées sur pied, créant des îlots de résineux morts.

Ce phénomène peut être de concorde ou empiré par les maladies des arbres : les ravages dans l’Est sont souvent attribués à la larve du scolyte, mais de nombreuses maladies et parasites se développent (Le bilan de santé des forêts de l’Est 2020 cite par exemple la Chalarose, Chenilles Processionnaires, Bombyx…)


« La neige fond plus tôt, les températures sont plus douces, ce qui favorise la prolifération d'insectes ravageurs qui détruisent et fragilisent les arbres et donc augmente la masse de matière sèche hautement inflammable. (…) Ces arbres, comparés à des "allumettes géantes" ou à des "fantômes", n'ont aucune valeur pour les entreprises forestières et les scieries. Ils sont trop nombreux pour qu'il soit possible de les dégager. Quant au budget qui serait nécessaire pour remettre la forêt en état de recevoir des feux écologiquement utiles, il est abyssal. » Joelle Zask, Quand La Forêt Brûle

Il est vrai que pour les exploitants de la forêt, abattre les arbres morts (ravagés par la sécheresse et les scolytes) est un gouffre financier – double-peine quand les grumes devaient faire office de rente. Aujourd’hui le marché est saturé d’épicéas scolytés, cette crise touchant l’Est en particulier.


Enfin, des facteurs aggravant liés au paysage exacerbent l’incendie dans un massif comme les Vosges. D’abord, le relief, car un feu accélère en montant. Et dans certains terrains marqués par la guerre, des munitions se trouvent encore dans le sol… Enfin le type de sylviculture : certains massifs de l’Est sont de grandes productions suivant le modèle de la monoculture. En raison de leur densité, de l’âge homogène des arbres destinées à la coupe, et de la faiblesse de la biodiversité, les forêts monospécifiques sont plus vulnérables aux risques. Un exemple parlant : une forêt d’exploitation pleine d’épicéas de Douglas, plantés car ils poussent très vite. Mais rendus malades par les scolytes et denses en résine, ces arbres ne demandent plus qu’à brûler.



Image satellite du feu sur l’île du Grande Canarie. (Pierre Markuse via Usbek et Rica)



Dans les Vosges, pour éviter les départs d’incendie et favoriser la réaction rapide à ces derniers, les pompiers rappellent les comportements de protection de soi et des autres – respecter la forêt en ne jetant rien et ne pas s’essayer aux petits feux « domestiques » estivaux hors d’aménagements prêts. Et bien sûr, appeler les secours en voyant un départ de feu.

En plus de ces campagnes de prévention, les pompiers Alsaciens disposent maintenant de camions de haute technologie. Le nouveau véhicule peut offrir de l’air additionnel dans son habitacle et fabrique une « bulle » d’humidité autour de lui par vaporisation, en cas de contact direct avec le feu. Le SDIS 68 compte désormais 8 de ces camions. Leurs contenants de 4000 litres d’eau posent la question de sauver la végétation, les hommes et les habitations en repoussant l’échéance de réapprovisionnement : en effet, dans l’action, c’est la possibilité de se réapprovisionner ou non qui rend des situations encore plus dangereuses. Surtout en montagne ou en forêt avec des routes accidentées. Certains camions-citernes atteignent une contenance « XXL » de 13000 litres.


A Haguenau, le commandant Claudon montre le même comportement de hausse en intensité de la lutte: « Nous sommes engagés depuis vingt ans dans une politique de formation. 700 à 800 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires sont habilités aux feux de forêt, dont une cinquantaine de cadres. Nous disposons de 100 camions-citernes (2 000 à 4 000 litres) tout terrain ainsi que de camions-citernes de grande capacité (13 000 litres) »,


Avant, ou avec, l’achat de matériel comme canadairs, hélicoptères et camions-citernes, la formation des sapeurs, des forestiers et le partage d’information est devenu incontournable. Les rapports et les cartographies se sont intensifiés et partagés entre Météo France, services de déminage, services de l’ONF et de pompiers du Sud et de l’Est .

Les services de pompiers échangent avec les forestiers et Défense extérieure contre l’incendie du Sud de la France. Le titre et le contenu des articles fait beaucoup référence à la Provence, zone de France métropolitaine la plus frappée par les incendies.



Les collègues du Sud expérimentent eux-mêmes des pratiques de culture préventive et de lutte, parfois à une échelle européenne, comme dans le projet FEADER Forest Management and Natural Risks (ForManRisk) . Des pratiques comme le pare-feu, des systèmes de surveillance sur tour, sont déjà en essai dans le pourtour méditerranéen. La DFCI (Défense des Forêts Contre les Incendies) est même un travail de saisonniers recrutés et formés exprès.

Sur cette base, l’ONF Grand Est s’efforce d’anticiper. « Un réseau d’appui technique et de développement a été créé en mars 2020 pour la plaine d’Alsace et le massif des Vosges. Il a vocation à servir de retour d’expérience pour le quart nord est.



Dans des articles scientifiques à l’intention des décideurs émerge le terme de « megadisturbances » « mégafeux » que certains reprennent dans le paysage public, comme Joëlle Zask. Ce terme désigne non seulement un feu incontrôlable, mais aussi un continuum de facteurs aggravants et cumulés qui s’agrègent aux autres risques pesant sur la forêt. Comme plusieurs années de sécheresse et de chaleur les unes après les autres, qui assèchent les arbres, contrarient la pousse des jeunes arbres mangés par le gibier se reproduisant plus largement er plus tôt, et favorisent l’explosion de parasites phytophages. Le contrôle des comportements individuels (malveillants ou ignorants) et l’armement croissant d’un équipement toujours plus performant peut ne pas suffire. Il faut aussi penser plus profondément l’aménagement de l’intérieur des forêts.

« Pourtant notre lutte contre les feux provoqués par le réchauffement climatique convoque un complexe (militaro)-industriel de "soldats du feu", hélicoptères, retardants, extincteurs, canadairs, réserves d'eau..., tout un arsenal guerrier pour un coût abyssal (3 milliards et demi de dollars pour la seule Californie en 2018) ; malgré cela, la lutte semble perdue. Les mégafeux ont leur propre comportement, provoquent des tornades, sautent des dizaines de mètres, reviennent en arrière, sidèrent les populations humaines et animales, sont proprement invincibles, car seule la pluie les arrête. » Joelle Zask

A travers les services de soldats du feu, les départements sont concernés par ce nouveau risque et doivent le prendre en compte sérieusement. De même pour des services de l’Etat tels que l’ONF. Les particuliers et tourismes de passage, souvent pointés du doigt pour les départs de feu, semblent toujours trop peu sensibilisés sur le sujet puisque malgré maints articles et campagnes de prévention, les petits feux de broussaille continuent à prendre départ en été. Ou est-ce parce que ce facteur de risque ne peut pas être plus impacté qu’il ne l’est déjà et qu’il faut se tourner vers d’autres leviers ?

Comme ce risque va perdurer, il faut être certain que toutes les parties prenantes qui devraient être inclues dans la solution le sont. Or, celle-ci pèse aujourd’hui sur les comportements individuels et l’héroïsme dévotionnel des services de lutte contre l’incendie.


Les articles locaux appellent à la diffusion dans la population locale de conduites responsables – sans doute car leur public est précisément la population. Mais au fond, la vraie prévention ne peut viser que les actions individuelles, mais aussi la filière-bois et les comportements des propriétaires et gestionnaires de forêt. Les plans simples de gestion contrôlés par la DRAAF prennent-elles suffisamment en compte le risque incendie ? Les agents de l’état sont-ils en capacité de l’évaluer ? Comment, enfin, proposer aux propriétaires et gestionnaires de parcelles des outils de gestion soutenable pour leurs investissements voués à être perdus?






Sarah Bachelart



Sources


« Massif Vosgien : pourquoi et comment les pompiers se préparent à des feux de forêts aussi violents qu’en Provence » 26/06/2020, Catherine Munsch, Site internet de France 3 Grand Est

« Vosges : cigarettes, feux et barbecues désormais interdits en forêt pour lutter contre les incendies » Inès Pons-Texeira, 9 août 2020, site de France 3 Grand Est

« [Diaporama] Le risque de feu de forêt révisé à la hausse » 03 mai 2020, Grégoire Gauchet, Dernières Nouvelles d’Alsace.

« Feux de forêt 2020 : le risque s’étend partout en France », 19 août 2020, communiqué du site de l’ONF

« Quand la Forêt brûle » Joëlle Zask, Août 2019, éditions Premier Parallèle

« Temperate forest health in an era of emerging megadisturbances” Constance I. Millar, Nathan L. Stephenson, Août 2015, Science vol. 349 pp. 823-826

Evaluation et gestion des risques liés aux polluants atmosphériques résultant des feux de forêt » E. Carfantan, M. Gaulme, A. Thevenet, Thèse d’ingénieurs du génie sanitaire de l’ENSP de Rennes, Jury avril 2004.

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