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Epidémie de covid19 : pourra-t-on dépasser la fracture générationnelle ?


Comme les médias n'ont de cesse de le répéter, les formes graves de covid19 atteignent principalement les personnes âgées. En France, 90 % des décès liés au covid surviennent chez les plus de 65 ans, et une victime sur deux a plus de 85 ans. A l'inverse, les 15 – 44 ans ne représentent que 0,5 % des décès depuis le début de l'épidémie.

Malgré tout, les jeunes ne sont pas à l'abri de contracter une forme grave de la maladie, ni d'en garder de lourdes séquelles. D'ailleurs, tout réduire à une question d'âge serait caricatural : à âge égal, les jeunes issus de territoires défavorisés sont frappés beaucoup plus durement par la maladie.


Source : Les Echos (05/2020), "A quel âge la mort est-elle inacceptable ?", https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/a-quel-age-la-mort-est-elle-inacceptable-1201056



La pandémie de covid19 menace donc les personnes de façon différenciée, la probabilité d'en sortir très affaibli voire d'en mourir augmentant avec l'âge. A ces disparités biologiques - liées d'une part à la nature du virus et d'autre part au fonctionnement du corps humain - se seraient ajoutées des différences de traitement politiques et sociétales. En effet, on entend souvent dire que les mesures sanitaires prises par le gouvernement depuis mars 2020 ne serviraient qu'à protéger nos aînés, au détriment des jeunes générations.

En outre, l'épidémie a conduit les pays à mettre en place des mesures de séparation physique entre les individus et les classes d'âge, afin de limiter les risques de contamination.


Tout cela semble avoir accru une fracture générationnelle déjà très prégnante dans la société, opposant jeunes et anciennes générations.



L'idée de fracture générationnelle


@Adobe Stock

Cette expression est utilisée depuis le milieu des années 2000s pour caractériser un phénomène de divergence entre générations. A cette période, ceux que l'on appelle les « milléniaux », c'est-à-dire les personnes nées entre 1980 et la fin des années 1990s, sont entrés en conflit avec les « baby boomers ». Nés entre 1945 et 1960, ces derniers sont accusés d'avoir volé l'avenir des jeunes générations, en leur léguant une planète polluée et vidée de ses ressources. N'ont-ils pas fait entrer nos sociétés dans la surconsommation, le plastique à outrance, l'alimentation industrielle et les pesticides, la voiture individuelle, les privatisations, les dérégulations ?

Selon toute logique, ces critiques sont fondées. Néanmoins, nous devrions bien nous garder d'accuser les baby boomers de tous les maux de la terre – au sens propre comme au figuré –, car les dernières décennies nous ont montré que les générations suivantes n'ont pas fait beaucoup mieux. Tout juste ont-elles amené une prise de conscience – environnementale, sociale, éthique –, mais dans l'ensemble, nous avons continué de suivre les mêmes trajectoires.


L'idée de fracture générationnelle va plus loin. Elle dénonce les inégalités de conditions de vie au cours du temps. Alors que les baby boomers ont vécu le plein emploi, la liberté sexuelle sans le sida, le pétrole coulant à flot et une foi aveugle dans le progrès technique, les nouvelles générations doivent faire face aux défaillances du système. Réchauffement climatique, chômage, catastrophes industrielles et nucléaires, terrorisme : elles doivent assumer les conséquences des choix de leurs aînés – qui ne cessent de leur rappeler que tous ces défis reposent désormais sur leurs épaules.


La notion de fracture générationnelle désigne aussi les différences de mode de vie, de système de valeurs et de cadre de pensée qui existent entre les générations ; à tel point qu'il est parfois difficile de les surmonter et de se comprendre. Or, depuis des années, les jeunes générations accusent les plus âgées de monopoliser les commandes de la société, que ce soit dans la sphère politique, économique, scientifique ou universitaire. De ce fait, elles imposeraient leur vision du monde à toute la population, alors qu'elle peut se trouver en grand décalage avec les aspirations des nouvelles générations.




Des divisions renforcées par l'épidémie



Avec l'arrivée de la pandémie de covid19, la notion de fracture générationnelle a pris une toute autre dimension. Au-delà des divergences idéologiques, elle a provoqué une véritable séparation physique entre classes d'âge. En effet, depuis presque un an, une politique de restriction générale des contacts sociaux a été mise en place en France, afin de lutter contre la propagation du virus. Les personnes âgées, parmi les plus vulnérables, sont particulièrement incitées à s'isoler.


Des mesures spécifiques ont été appliquées aux maisons de retraite et EHPAD, qui accueillent près de 700.000 personnes dans notre pays. Durant le premier confinement (mars – mai 2020), il était interdit de rendre visite aux résidents de ces établissements, ce qui les a privés de tout contact réel avec leur famille et leurs amis. Cette situation a causé une telle détresse psychologique chez les pensionnaires que les visites n'ont pas été suspendues au moment du second confinement. Néanmoins, elles restent conditionnées au respect d'un protocole sanitaire strict, obligeant les visiteurs à respecter une distance de sécurité avec les résidents.


Même en-dehors des maisons de retraite,la plupart des personnes âgées ont vu leurs interactions sociales se réduire fortement, notamment avec leurs (arrières-)petits-enfants. Cette initiative est tantôt venue des jeunes, redoutant de mettre en danger leurs aînés, tantôt des personnes âgées elles-mêmes, par crainte d'être contaminées. Ainsi, en décembre dernier, des milliers de familles ont fêté Noël séparément. Le maintien de cette distance a été fortement encouragé par les pouvoirs publics.


D'autre part, l'épidémie de covid19 a attisé l'opposition entre générations, que certains appellent « lutte des âges ». Universités, bars et boîtes de nuit fermés, activités culturelles suspendues, couvre-feu, insertion professionnelle difficile, vaccins inaccessibles... Une partie de la jeunesse a le sentiment d'être sacrifiée pour protéger les plus âgés – ceux-là mêmes qui ont déjà compromis son avenir en lui léguant une dette écologique insurmontable. A côté de cela, l'âge de la retraite est sur le point d'être repoussé pour les jeunes générations. Tout cela est parfois vécu comme une injustice et alimente les tensions. Le Courrier International, dans un article du 19 mai 2020, résume bien la situation :


« d’un côté, les aînés, frappés de plein fouet par le covid19 et parfois sacrifiés au nom de la relance économique ; et de l’autre, la jeunesse, coincée dans un monde “apocalyptique” où la précarité risque d’aller croissant. »


Une réconciliation possible ?



L'épidémie de covid19 semble donc avoir renforcé les clivages au sein du corps social. Alors que les aînés reprochent aux jeunes de propager l'épidémie en ne respectant pas les mesures sanitaires, la jeunesse réclame plus de considération et de soutien de la part des autorités, qui devraient penser un peu moins aux anciennes générations et un peu plus aux nouvelles. Certains demandent par exemple que le vaccin soit accessible aux plus jeunes, comme c'est le cas en Indonésie, où les 18 – 59 ans sont immunisés en priorité. D'autres affirment que les restrictions sanitaires devraient uniquement s'appliquer aux plus de 65 ans, tandis que le reste de la population pourrait vivre « normalement ».


Cependant, ces revendications portent en elles la menace d'une discrimination envers les seniors qui ne dit pas son nom. Or, n'oublions pas que derrière cette grande catégorie se cachent des êtres humains, avec des pensées et des sentiments. Ce sont nos parents, nos grands-parents, nos oncles, nos tantes… Chaque décès lié au covid est un drame individuel et familial.

Quel genre de nation serions-nous si nous laissions mourir nos aînés, pour laisser la jeunesse vivre "sans contrainte" ? Ces mêmes aînés qui, pour la plupart, ont passé leur vie à travailler pour leur pays ? Peut-on éthiquement attribuer plus de valeur à une vie qu'à une autre ? Je ne le crois pas. D'autant que les anciennes générations sont aussi sources de richesses pour notre société – peut-être moins sur le plan économique, mais indubitablement sur les plans intellectuels et mémoriels.


En outre, l'idée de confiner uniquement les personnes âgées n'est pas pertinente. Tout d'abord, il est presque impossible d'isoler une seule génération du reste du monde : parmi les plus de 65 ans, on compte des personnels soignants, des enseignants, des commerçants, des élus… Notre société peut difficilement fonctionner sans eux. D'autre part, le virus se répandrait extrêmement vite dans le reste de la population, causant d'importants dégâts, même parmi les plus jeunes. L'arrivée en France des variants du covid19 nous montre d'ailleurs qu'aucune catégorie d'âge n'est réellement à l'abri.

Enfin, si les meures sanitaires étaient supprimées pour toute une partie de la population, les systèmes de santé se retrouveraient rapidement submergés. L'épidémie de covid causerait alors un grand nombre de décès indirects, injustes, liés à d'autres pathologies qui n'auront pas pu être prises en charge correctement.



En clair, nous ne pouvons pas laisser les seniors mourir pour préserver la qualité de vie des plus jeunes. Ce n'est ni acceptable éthiquement, ni juste, ni souhaitable. Toutefois, il nous faut reconnaître que les jeunes font aujourd'hui des sacrifices très lourds. Peut-être plus lourds que n'importe qui. En effet, depuis de nombreuses années déjà, leur avenir a été hypothéqué par le changement climatique, les dégradations environnementales et l'épuisement des ressources naturelles. Aujourd'hui, l'épidémie de covid19 continue de réduire leurs perspectives. La société a clairement une dette envers eux, qu'elle devra rembourser.

Pour cela, la jeunesse devrait faire l'objet de dispositifs d'aide et de soutien de grande ampleur, sur le logement, la formation, l'insertion professionnelle, etc. Mais surtout, il devient urgent d'instaurer des politiques ambitieuses et efficaces de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de l'environnement.


@Pixabay



Emma AVRIL


Sources





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