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Face aux mesures sanitaires, quelles places pour les liens sociaux de demain ?

Dans la mesure ou la pandémie semble être une simple prémisse de catastrophes plus grandes à venir, la question du lien social et de sa fabrication doit rester une préoccupation. Si la Covid-19 nous a montré les effets désastreux de la distanciation sociale, ce nouvel aléa doit être pensé par rapport aux risques qu’il peut engendrer. Cela permet alors de comprendre quels sont les facteurs de vulnérabilités pour ensuite mieux penser la résilience.


La crise sanitaire de la Covid-19 a imposé la distanciation sociale pour limiter la propagation du virus. Cette propagation se fait par les « chaînes de transmission » qui sont finalement les rouages des liens sociaux. D’après le site SES.WebClass, le lien social « désigne l'ensemble des relations qui unissent des individus faisant partie d'un même groupe social ». Depuis le début de la crise, un bon nombre de ces groupes sociaux se sont dissous : groupes d’amis, groupe d’étudiants d’une même promotion, groupes de collègues, groupe d’un même club de sport, groupe familial, etc. Cela correspond donc à la majorité de nos relations. Plus tard, cette même définition note que « les liens sociaux permettent d'assurer la cohésion sociale et l'intégration des individus, soit par le partage de valeurs communes soit par la reconnaissance sociale des différences lors de l'établissement des règles sociales. ». Le fait que la majorité de nos relations aient disparues altère donc notre cohésion sociale, notre intégration, bref notre place dans la société. Or, l'exclusion sociale est un facteur de vulnérabilité sociale. De plus, historiquement, l’importance des liens sociaux ont permis des sociétés de bien-être. Dans un rapport de 2019, le Conseil de Développement de l’Eurométropole de Strasbourg note différents enjeux du lien social : enjeux économiques, enjeux démocratiques (« en ce que le manque de lien social peut aboutir à des dérives ») et enjeux de bien-être puis que le lien social est « un vecteur de bonne santé physique et mentale et prévient l’isolement ». Si on considère par ailleurs que la démocratie, et donc les liens sociaux, est un facteur essentiel de la transition écologique, cette dernière devient elle aussi altérée et/ou ralentie par la crise sanitaire. Bien sûr, il est difficile de faire un état des lieux général du lien social d’avant la crise, aux vues des disparités. Cependant, il était évidemment plus important du fait de la possibilité d’interagir dans toutes sortes de lieux et d’espaces. Pour remédier à cette distanciation sociale, c’est le lien numérique qui a pris une place importante.


Et comme le note Élise Bouhélier dans son article du 24 avril 2020, nous avons donc commencé à nous diriger vers le « tout-numérique ». Cependant, ce transfert du lien social au lien numérique soulève au moins deux enjeux :

> le numérique annihile nos sens et donc altère nos liens sociaux : pas d’odeurs, pas de toucher, pas de texture, des voix numérisées…

> le numérique a des impacts importants sur la biosphère

Concernant le premier point, les preuves ne manquent pas pour dire que le « tout-numérique » a causé des problèmes. Des chiffres sur l’augmentation de la dépression et des troubles anxieux, notamment chez les étudiants pour qui le distanciel n’a que très peu bougé depuis des mois, sortent tous les jours.

Concernant ce deuxième point, c’est là la conclusion d’Élise Bouhélier : « l’usage d’outils numériques (…) toujours plus énergivores (…) risque de plus participer au dérèglement climatique qu’à le contrer ».


Un enjeu qui est donc soulevé par la crise sanitaire actuelle est le suivant : nous avons besoin les uns des autres, tant au niveau du bien-être que pour mener la transition écologique, or la distanciation sociale et le tout-numérique imposés par la crise ne permettent pas de rejoindre ces objectifs.



Dans un contexte de changements climatiques qui amène à penser que cette pandémie n’est pas la dernière, comment maintenir du lien tout en respectant nos objectifs de sobriété numérique et la nécessité de la distanciation sociale ?

Cette question rejoint aussi les enjeux soulevés par Marianne Abrioux dans son dernier article du 5 février 2021 : est ce que la solidarité et la possible culture du risque engendrées par la crise de la Covid seront, plus tard, des facteurs de résilience sociale ? Comment va-t-on adapter nos pratiques culturelles pour faire face aux éventuelles futures crises ?

 

Heureusement, quelques municipalités ont fait preuve de créativité. Du Québec à la Bretagne, des initiatives ont émergées pour faire vivre ce lien social, loin du numérique et en respect des mesures sanitaires :


À Dinan, une troupe de comédiens a été mandatée par la ville pour mettre en place un programme de « criées » : une adresse mail est diffusée via internet, via la presse locale, et les habitants sont invités à y envoyer poèmes, recettes, nouvelles, etc. Les comédiens les recueillent pour les réciter à haute voie dans les rues du centre-ville, sans prévenir des horaires à l’avance pour éviter les foules : mais que ce soient les passants ou les résidents à leur fenêtre, il y a toujours quelqu’un pour en profiter !



De l’autre côté de la Rance, à St-Malo, ce sont les mobilités qui sont repensées. Dans une période où le « non-essentiel » est oublié, certains acteurs se réinventent : la propriétaire d’une voiture hippomobile, qui ne peut plus accueillir de touristes, s’est jointe à des commerces non essentiels, comme une librairie, pour assurer leurs livraisons. Cette solidarité entre commerçants et acteurs du tourisme qui anime les rues d’une manière toute nouvelle est bien « une idée originale contre la morosité ambiante ».




Montréal, qui est quant à elle connue pour ses innombrables festivals, a adapté son « Festival Quartiers Danses » en septembre dernier. Comme à Dinan, l’idée était simplement de ne pas donner de rendez-vous aux spectateurs : « Restez donc à l’affût pour des prestations surprises dans le Quartiers des Spectacles et dans l’Arrondissement du Sud-Ouest entre le 11 et le 20 septembre! » annonce la programmation.

Source : Romain Lorraine Photography, 2020, page Facebook « Festival Quartiers Danses »



Finalement, dans un contexte où les règles du jeu évoluent rapidement et radicalement, les pouvoirs publics et les associations doivent s’adapter. Si les scientifiques et les gouvernements ont été beaucoup écoutés, comment peut-t-on aussi donner une place aux artistes et aux acteurs locaux qui semblent essentiels pour donner vie à la résilience sociale et territoriale ?

De plus, puisque les changements climatiques amènent à la fonte du pergélisol qui risque de libérer de nouveaux virus et donc de créer de nouvelles pandémies, la résilience aussi bien sanitaire que sociale doit se construire. Spécifiquement face aux maladies très contagieuses nécessitant la distanciation sociale, un nouvel usage de l’espace doit être pensé pour que différents liens sociaux existent et renforcent les groupes, au-delà d’un numérique insuffisant et polluant.



Emilie Hainguerlot

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