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L'eau salée : La solution face au stress hydrique

Dernière mise à jour : 12 mars 2021

Alors que près de 2 milliards de personnes n’ont toujours pas un accès direct à l’eau potable, la consommation d’eau insalubre tue aujourd’hui davantage que toutes les guerres.


Focus sur le cas du Cap, en Afrique du Sud.


L'épée Damoclès qui plane au dessus des Capetoniens


Le “jour zéro” est la menace quotidienne qui pèse au-dessus de la ville du Cap, la deuxième plus grande d’Afrique du Sud. La mairie a prévenu, elle enclenchera ce processus du “jour zéro” si les efforts demandés à la population ne sont pas respectés et que la ville n’arrive pas à enrayer la pénurie d’eau qui se profile. Avec ce processus, la ville coupera l’eau courante en dehors des hôpitaux et des écoles, et chaque habitant du Cap devra venir chercher ses 25L d’eau quotidien aux différents points de ravitaillement de la ville.


Comme le Cap, de nombreuses villes dans le monde connaissent ce stress hydrique (Istanbul, Doha, Sao Paulo, Moscou ou Londres). L'Organisation mondiale de la santé (OMS) parle de stress hydrique lorsque la disponibilité en eau, par an et par habitant, est inférieure à 1.700 m3. Ces pénuries d'eau, régulières ou quasi-certaines, sont le résultat du réchauffement climatique, couplé à une démographie galopante, à l’industrialisation, à l’urbanisation et à la pollution des eaux douces disponibles.


L’absence d’eau dans certaines régions du monde ne fait d’ailleurs qu’accentuer les inégalités, comme au Cap, en Afrique du Sud. Les Sud-Africains, sont depuis maintenant plusieurs années contraints à n’utiliser que 50L d’eau par jour : il faut garder en mémoire qu’un Européen consomme en moyenne 150L d’eau/jour, et un État-Unien 250L d’eau/jour.


Les restrictions sont très contraignantes et la brigade des Blue Scorpions, une unité spéciale de la police sud-africaine, mise en place afin d’assurer l'application de toutes les lois et réglementations sur l'eau, a un niveau de tolérance zéro pour les gaspilleurs qui utiliseraient de l’eau potable à d’autres fins que boire ou manger. Des pluies abondantes fin 2018 ont permis d’éloigner le spectre du “jour zéro” des capetoniens, mais pour combien de temps ?


Les changements climatiques et la démographie galopantes fragilisent la ville


Le stress hydrique au Cap est dû à plusieurs facteurs dont :


  • Les faibles précipitations de ces trois dernières années, respectivement 153, 221, et 327 millimètres alors que la moyenne de précipitations annuelles se situe depuis 1977 autour de 508mm selon la station météorologique du Cap. Ce manque d’eau de pluie servant à remplir les réservoirs alentour de la ville, se combine avec la forte augmentation en Afrique du Sud. Il faut remonter aux années 1850 pour retrouver une telle situation de sécheresse au Cap.


  • Le réservoir de Theewaterskloof est censé contenir à lui seul plus de la moitié des réserves en eau de la ville. Aujourd’hui, il contient moins de 12 % de sa capacité initiale. En 2014, après une saison des pluies particulièrement abondantes, les réservoirs avaient été totalement remplis, personne alors n’imaginait la crise actuelle. Mais dès mars 2015, on estimait déjà qu’il ne restait que 100 jours de réserve d’eau avant une pénurie totale.



  • En dix ans, la population de cap est passée de 3.2 millions d'habitants à 4 millions. Cette forte démographie a augmenté les besoins en eau de la ville qui n’avait pas anticipé une croissance aussi forte.


  • Dès 2007, des politiques de prévention contre le gaspillage et les fuites ont été menées, tant et si bien que la ville a réussi à réduire de 30% sa consommation par rapport à l’an 2000. Ce succès a occulté le besoin de diversification d'approvisionnement en eau de la ville, conduisant la ville à ne compter que sur ses réservoirs déjà existants, aujourd’hui à sec.

Le dessalement de l'eau de mer : une solution pour enrayer les pénuries d'eau ?


Longue de 2.800 kilomètres, la façade maritime de l’Afrique du Sud pourrait la sauver du “jour zéro”. De plus, l’important taux d'ensoleillement, une autre cause de l’assèchement des terres, pourrait même s’avérer utile.


Pour pallier la pénurie d’eau qui frappe Le Cap, et de nombreuses autres villes d’Afrique du Sud, la municipalité pourrait investir dans des usines de dessalement d’eau de mer. Cette technologie est désormais utilisée un peu partout dans le monde : la grande majorité des champs de fruits et légumes produits en Israël sont irrigués avec de l’eau désalinisée.




Ainsi, depuis décembre 2018, une usine solaire de dessalement de l’eau de mer produit chaque jour 100 mètres cubes d’eau potable aux 3 000 résidents du village côtier de Witsand en Afrique du Sud. Ce village situé dans la province du Cap produit suffisamment d’eau pour ses 2000 habitants et peut ainsi approvisionner certains quartiers du Cap.


C’est Paul Boyer, un ingénieur français installé en Afrique du Sud, qui a convaincu la municipalité de Witsand de s’équiper de l’usine de dessalement. Il explique le fonctionnement : "Après avoir filtré l’eau de ses impuretés, il ne reste que de l’eau et du sel. On envoie ensuite cette eau salée à une très forte pression dans de longs tuyaux dans lesquels se trouvent plusieurs filtres successifs de plus en plus fins. À l'arrivée, l’eau est débarrassée à 95% de sa charge en sel et elle est prête à être consommée."


L’innovation majeure de cette centrale réside dans l’énergie qu’elle utilise. Contrairement aux autres usines de dessalement, celle-ci utilise l’énergie solaire “[ce qui] nous permet d’avoir de l’eau de manière infinie à un prix raisonnable et sans laisser aucune empreinte carbone”. résume l’ingénieur français, même si le “aucune” pourrait être à nuancer.


Trois autres projets d’usine sont en prévision en Afrique du Sud, et la ville du Cap est toujours en pourparlers avec la Banque Mondiale. Celle-ci a conseillé de construire trois grandes usines plutôt que 7 ou 8 plus petites, afin de réduire le coût du capital. Toutefois, malgré l’urgence, le projet stagne depuis 2019.



Qui pour porter le projet ?


La maire Patricia de Lille, arrive au pouvoir en 2011, lorsque le manque d’eau commence à se faire sentir. Grâce à ses politiques de rénovation des services d’eau combinées aux campagnes publiques qui visent à inciter, voire contraindre, la population à réduire sa consommation d’eau, elle réussit à limiter les dégâts jusqu'à la fin de son mandat le 6 novembre 2018.


L’enjeu de l’eau est devenu un argument politique et tout porte à croire que le nouveau maire, Dan Plato, devra mettre en place des infrastructures fiables et pérennes, et ne pas se reposer uniquement sur la bonne volonté de chaque habitant. Pour l’aspect technique, l’entreprise française Mascara Renewable Water basée dans l'Eure-et-Loir, et son partenaire Sud-africain Turnkey Water Solution, forment un tandem solide qui a déjà porté l’installation de la centrale de Witsand. Pour un projet à l’échelle de la ville du Cap, ces collaborateurs pourraient à nouveau intervenir pour leur expertise en matière de technicité et leur connaissance du terrain.



Un projet en 3 étapes :


  • Le Cap s’étend sur 2 445 km2 : La ville est vaste, qui s’étend au pied d’une chaîne de montagne. La première étape consisterait à cartographier la ville afin de trouver la zone la plus propice à l’installation des usines. La force d’attraction peut jouer en la faveur de la municipalité et construire l’usine en hauteur permettrait une économie d’énergie pour faire s’écouler l’eau dessalée, même si cette économie en aval du traitement serait compensée par le coût en amont pour transporter l’eau. Pour ne pas accroître les inégalités qui clivent d'ores et déjà les Capetoniens, il s’agira aussi de ne pas installer les usines à proximité des bidonvilles (Langa, Khayelitsha…) qui ont été construits aux abords de la ville, afin que leurs résidents n’aient pas à en subir les externalités négatives. L’usine fonctionnant à l’énergie solaire, il faudra aussi s’assurer que l’exposition soit optimale.



  • Une autre étape cruciale réside dans la répartition des pouvoirs avec l’arrivée de ces nouvelles usines qui bénéficieront à toute la métropole. En effet, en Afrique du Sud, c’est le ministère de l’Eau et de l’Assainissement qui est chargé de s’assurer que des quantités suffisantes d’eau, souvent stockées dans des réservoirs placés sous la responsabilité des municipalités, sont disponibles. Avec l’installation de ces nouvelles usines de dessalement, il faudra repenser le système de distribution à une plus petite échelle. Aujourd’hui ces municipalités sont mandatées pour distribuer l’eau à leurs administrés mais à l’avenir on pourra voir un système uniquement contrôlé par les municipalités sans passer par le ministère de l’Eau et de l’assainissement. Cela permettra d’arbitrer plus équitablement entre les besoins des différents quartiers : la consommation d’eau d’une famille de six dans le bidonville de Langa n’est pas la même que celle d’un couple avec piscine dans le très chic quartier de Constantia.


  • L’ultime étape sera celle d’assurer la transition entre la vie avec 25L/jour, et celle où l’eau coule sans limite du robinet. Les ambitions des usines de dessalement semblent garantir une abondance d’eau douce grâce à la profusion d’eau salée qui est à disposition. Mais la sobriété en matière de consommation d’eau n’est-elle pas en soi une bonne chose ? L’objectif ici sera de ne pas abuser de cette eau douce et de garder effective certaines mesures que la municipalité avait réussi à instaurer comme par exemple l’interdiction de nettoyer sa voiture à l’eau potable.



Attention : Les risques générés par la solution


L’arrivée de l’eau en abondance pourrait conduire à développer des activités économiques nouvelles : L’Espagne, a pu développer une agriculture maraîchère intensive dans la région d’Almeria où furent tournée Lawrence d’Arabie, Indiana Jones ou Cléopâtre, de quoi se faire une idée de l’aspect désertique de la région. La zone non exploitée/aride a vu ses ressources en eau s'accroître tout d’abord par la découverte de nappes phréatiques, puis une fois celles-ci asséchées, grâce au dessalement, attirant les plus gros producteurs du pays à s’y installer.



Les milliers de serres qui protègent les sols de l’érosion et l’irrigation abondante permettent de faire pousser des fruits toute l’année, la culture est devenue intensive et la surproduction fait même son apparition dans cette région qui n’était qu’un désert peu de temps auparavant. D’où l’instauration de limites quant à l’utilisation de l’eau, pour quels usages, à quelles fins et pour quelles ambitions économiques ?


S’ajoutent à cela les effets liés à l’usine elle-même. Si l’eau est captée au large, différentes perturbations des écosystèmes marins peuvent être observées : Des organismes marins tels que des poissons peuvent heurter aux tambours tamiseurs qui filtrent l’eau salée, ce qui peut causer un écaillage et des troubles de l’orientation. Ces troubles physiques peuvent être à l’origine d’une mortalité accrue due aux maladies et à l’augmentation de la prédation. Il faut ajouter à ces effets les impacts liés aux canalisations permettant de conduire l’eau de mer jusqu’à l’usine.


Le dessalement de l'eau de mer peut être une solution aux pénuries qui surviennent au Cap et dans de nombreuses autres grandes villes côtières, à condition que l'énergie utilisée soit propre et que les externalités qui peuvent survenir soit prise en compte dès le début du processus.


Lola BENOIT



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