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La crise du coronavirus : une opportunité pour le développement du locavorisme ?

  • Etudiant
  • 19 avr. 2020
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 avr. 2020


Lors de son allocution télévisée du 13 avril annonçant la date du déconfinement pour le 11 mai prochain, Emmanuel Macron a indiqué vouloir une France de l’après-coronavirus qui « rebâtisse son indépendance agricole, industrielle et technologique». Cette indépendance peut notamment s’effectuer par une relocalisation de l’alimentation.


La relocalisation de l’alimentation est regroupée sous le terme de « locavorisme », qui désigne le fait de consommer la nourriture, mais aussi l’artisanat, produits dans un rayon restreint autour de son domicile. Plus concrètement, être locavore, c’est acheter des produits frais et de saison, auprès de producteurs locaux, et limiter le gaspillage alimentaire. Il y a une discussion sur la conception de savoir jusqu’à quelle distance de son domicile l’aliment peut-être considéré comme « local ». Certains considèrent qu’un produit est local lorsqu’il provient de moins de 160 km par rapport au consommateur (sur la base des 100 miles américains), d’autres considèrent l’échelle de la région.


Cette pratique était la norme avant l’apparition des grandes enseignes de distribution dans les années 1960 et la généralisation de la mondialisation y compris alimentaire. Ces commerces sont alors progressivement devenus les lieux principaux d’approvisionnement alimentaire des Français. Ces magasins de distribution alimentaire mais également textile, cosmétique, de produits d’entretien, voire même culturels ont en effet révolutionné la façon de consommer des Français vers la fin des Trente Glorieuses, par leur praticité en permettant de regrouper la plupart des achats de la vie courante en un même lieu. Or, ces grandes enseignes, imprégnées d’une recherche de profit toujours plus grande, peuvent parfois privilégier l’achalandage de produits venus de loin aux marchandises produites localement.



  • Le Covid-19 : remise en cause de la mondialisation de l’alimentation


Depuis une cinquantaine d’années maintenant, notre alimentation s’est ainsi composée de produits « exotiques », produits à l’autre bout du monde ou à plusieurs milliers de kilomètres de notre domicile. Beaucoup de personnes remplissaient ainsi leur caddy sans forcément se soucier de la provenance ou de la saisonnalité des produits qu’elles achetaient et encore moins de l’impact carbone de ce mode de consommation.

Ce mode d’alimentation n’est cependant permis que par la mondialisation, qui se trouve actuellement freinée avec la crise du coronavirus. La crise sanitaire que nous traversons a en effet mis en exergue la grande interdépendance de nos économies, y compris pour des biens de première nécessité comme l’alimentation.

Cette crise sanitaire a ainsi particulièrement mis en lumière la grande fragilité de notre système de santé et la désindustrialisation massive qui s’est produite en France, provoquant une dépendance envers les producteurs de masques et de tests sérologiques situés à l’étranger. La question de la relocalisation d’industries qualifiées de « stratégiques » (médicaments, masques...) par plusieurs personnages politiques est alors revenue sur le devant de la scène du fait de cette crise sanitaire. Cependant, cette crise a également eu un impact sur nos modes de distribution et d’approvisionnement alimentaires. En effet, avec cet arrêt forcé des échanges mondiaux pour ces raisons sanitaires, certains producteurs ont pu voir leurs circuits de vente bouleversés. La population a également d’abord pu craindre des pénuries et s’est mise à reconsidérer l’alimentation produite plus près de chez elle.



  • Le développement d’initiatives de relocalisation de l’approvisionnement alimentaire


Pour contrer ce ralentissement des importations et exportations alimentaires, des solutions ont ainsi émergé pour continuer l’approvisionnement des commerces et la vente des productions locales. Les marchés, qui sont pour un certain nombres de Français un lieu habituel d’approvisionnement privilégié, permettent traditionnellement cette vente directe. Cependant, le Premier ministre Edouard Philippe a ordonné la fermeture de ceux-ci suite aux images de marchés parisiens très fréquentés en pleine crise sanitaire par crainte d’une propagation accrue de la pandémie. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a alors demandé aux grandes enseignes de supermarché de privilégier autant que possible leur approvisionnement auprès des agriculteurs français. Une requête qui a été plutôt bien suivie et qui a permis aux producteurs de l’hexagone de continuer à survivre pendant cette crise sanitaire, tout en évitant des pénuries dans les magasins. Cette démarche, bien que louable, n’est cependant pas la plus optimale. Du fait de cet intermédiaire que constituent les enseignes de la grande distribution, les agriculteurs continuent d’être contraints sur leurs prix et de dégager une rémunération qui n’est pas en adéquation avec leurs coûts de production.


Ainsi, une initiative, déjà existante avant cette crise sanitaire mais peut-être sous-exploitée, paraît plus enviable pour les producteurs comme pour les consommateurs. Il s’agit des circuits courts, qui permettent soit une mise en relation directe des producteurs et des consommateurs ou tout du moins une diminution du nombre d’intermédiaires. Les producteurs qui sont dans cette démarche ont d’ailleurs su faire preuve de résilience face à la crise sanitaire que nous vivons. En effet, pour assurer les mesures d’hygiène nécessaires, plusieurs producteurs locaux ont mis en place des « drives fermiers ». Ceux-ci consistent pour les clients à commander en ligne les produits qu’ils souhaitent et à les récupérer à une date et heure convenues dans un point de retrait à proximité de chez eux. Le principe des AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) se généralise ainsi pendant cette période troublée. De plus, plusieurs sites, élaborés par des associations ou par des collectivités locales, répertorient et cartographient les producteurs locaux qui continuent leur service pendant cette période de confinement pour permettre aux habitants de découvrir de nouveaux endroits où s’approvisionner au plus près de chez eux et de favoriser ainsi le commerce local.





Toutes ces initiatives perdureront-elles une fois la crise du Covid-19 passée? Cette période de crise sanitaire permettra-t-elle d’enclencher un changement dans nos modes de consommation et d’approvisionnement?


  • Tentative de prospective


Cette expansion du locavorisme, qui s’est effectuée de façon quelque peu forcée en raison des événements, pourrait s’arrêter après la crise sanitaire. Cela serait extrêmement délétère aussi bien pour les producteurs locaux qui peuvent obtenir globalement une meilleure rémunération, que pour les consommateurs qui bénéficient de produits frais et de meilleure qualité ou encore pour le climat. L’achat locavore permet un approvisionnement principalement en produits frais et bruts ou peu transformés, ce qui nécessite de se rendre également dans des commerces plus généralistes pour acheter tout ce qui est produits transformés ou de longue conservation. Ainsi, on peut craindre qu’une fois la période de confinement passée et le retour global de la société à un train de vie plus rapide, les Français se rabattent sur leur circuit d’approvisionnement passé à savoir les grandes surfaces qui présentent pour eux l’avantage de pouvoir se fournir dans un seul et même endroit.


Cependant, cette crise sanitaire, et le changement des habitudes de consommation qu’elle a entrainé, peut avoir engendré un bouleversement et une prise de conscience des avantages de ces circuits d’approvisionnement local, qui pourra ancrer durablement de nouvelles habitudes de consommation dans la population. Cette relocalisation de l’alimentation permettrait aux territoires d’être plus résilients en étant moins vulnérables aux éventuels problèmes de transports en cas de crise ou d’aléas climatiques. L’économie locale serait ainsi mieux préservée et le lien social recréé. Cela permettrait en outre de revaloriser des métiers manuels liés à la terre qui ont pu être parfois déconsidérés.


Suite à la crise de la vache folle, crise sanitaire des années 1990 touchant directement à l’alimentation, seules les classes les plus favorisées économiquement s’étaient tournées vers des circuits d’approvisionnement locaux. Cependant, cette crise du Covid-19, d’une ampleur plus massive, aura peut-être permis de changer plus durablement les comportements de consommation d’une frange plus importante de la population.


L’objectif pourrait être qu’en 2050 au moins 50% de la consommation alimentaire des Français soit constituée de produits locaux et que le reste provienne en grande majorité du reste de la France afin qu’il ne reste qu’une petite minorité de produits qui viennent de loin.

Pour cela, il faudrait revaloriser le métier d’agriculteur-maraîcher et limiter l’expansion des villes pour sauvegarder des terres agricoles.

Pour favoriser le développement du locavorisme, il serait pertinent qu’à l’horizon 2030 tous les organismes de restauration collective comme les cantines scolaires se fournissent majoritairement auprès de producteurs locaux et en agriculture biologique si possible.

Puis en 2045 que les AMAP ou d’autres types de circuits courts soient devenus la norme des réseaux d’approvisionnement alimentaires des Français, au moins pour les produits bruts et frais.


Ce qui pourrait bloquer la généralisation du locavorisme est que beaucoup de produits appréciés de la population ne peuvent pas être produits localement ni même en France. A minima, il faudrait alors que dans les supermarchés tous les produits qui peuvent être produits localement ou sur le territoire national ne soient pas délaissés au profit de produits venus de l’étranger et coûtant moins cher. Pour le reste, il faudrait revoir nos habitudes de consommation et accepter de renoncer à certains produits que nous sommes obligés d’importer comme certains fruits exotiques ou du moins d’enréduire leur consommation.


Cette crise du coronavirus a ainsi pu bouleverser nos modes de vie au moins temporairement et parfois dans un sens positif en nous redonnant du temps pour réfléchir à nos pratiques de consommation. Il faut maintenant espérer que ces effets positifs subsistent une fois la crise passée.


Pascaline VIAUD



4 Comments


Pascaline
Pascaline
May 31, 2020

Bonjour Jonathan,


Je suis d'accord avec toi, le locavorisme peut se limiter sur le court terme à des populations bien spécifiques que tu as citées et qu'il faudrait une volonté des pouvoirs publics nationaux mais surtout européens pour que ce mode de consommation se généralise et perdure.

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Pascaline
Pascaline
May 31, 2020

Bonjour Elise,


Je ne pense pas que cela soit complètement incompatible dans le sens où les AOP et AOC visent à mettre en valeur des produits ancrés sur un territoire. Ces labels continueront à valoriser les produits qui en bénéficient auprès des consommateurs habitant à proximité. De plus, je ne pense pas qu'un locavorisme total soit envisageable, il y aura forcément des produits qui viendront de plus loin que ce rayon de 160km ou que l'échelle de la région et ces produits renommés grâce à leur AOP/AOC pourraient en faire partie à mon avis.

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Jonathan
Jonathan
Apr 23, 2020

Sur le court terme, avec la crise économique le locavorisme risque de rester "confiné" et réservé à une population particulière : celle des campagnes qui vit à proximité des producteurs, et la classe privilégiée économiquement parce qu'elle a les moyens d'acheter des biens alimentaires plus chers en rémunérant à juste prix les producteurs locaux.

Autrement dit, les populations urbaines et moins aisées conserveront leurs comportements d'avant. Je pense toutefois que le locavorisme va se généraliser à l'avenir; mais davantage sur le long terme avec la mise en place de politiques locales et régionales qui s'adapteront aux nouvelles volontés des consommateurs, avec le locavorisme comme effet de mode.

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Elise Bhr
Elise Bhr
Apr 20, 2020

Le locavorisme, en faisant préférer des produits ultra-locaux aux consommateurs, ne tendrait-il pas à faire disparaître la renommée des AOP et AOC et en même temps les savoirs faire qu'elles protègent sur des aires géographiques très spécifiques ?

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