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La crise sanitaire est-elle l’occasion d’une bouffée d’oxygène pour la planète ?

Durant le premier confinement, le trafic aérien a largement chuté de près de 60% selon l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), une occasion pour les astronomes et les amateurs et amatrices d’observer un ciel étoilé désencombré des pollutions atmosphériques et lumineuses.


Le confinement a donc provoqué une importante diminution des émissions de dioxyde d’azote dans toute l’Europe par rapport au mois de mars 2019, selon l’Agence Spatiale Européenne (ASE), mais outre une amélioration des conditions d’observation du ciel, les implications structurelles de la crise sanitaire permettent-elles à la planète de vraiment respirer ?




Avant/après : quelles conséquences de la crise sanitaire sur la pollution ?


La pollution, qui s’entend comme l'ensemble des externalités négatives liées aux activités humaines, est un fléau à tous les niveaux : écologiques, économiques comme humains. Elle accroît les risques de maladie respiratoires aiguës et chroniques et les maladies cardiovasculaires, notamment parmi des populations fortement vulnérables comme les enfants, les personnes âgées et les ménages à faible revenu ayant un accès limité aux soins de santé, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en plus d’être la première cause de mortalité prématurée dans le monde.


Or, la crise sanitaire qui a touché l’ensemble du globe, dès la fin de l’année 2019, a largement contribué à diminuer les émissions de gaz à effet de serre, révélant des données d’avant et d’après crise plus que flagrantes. A titre d’exemple, les concentrations de dioxyde d’azote, émis notamment par les véhicules et sites industriels, auraient baissé de 30 à 50% dans les grandes villes chinoises entre 2019 et 2020, tandis que les niveaux de particules fines auraient chuté de 20 à 30% en 2020 comparé aux trois années précédentes.


Selon le consortium de chercheurs climatiques Carbon Brief, le confinement aurait permis de diminuer de 25% les émissions de gaz à effet de serre chinoises, et de près de 30% les émissions indiennes, tandis que le Haut Conseil pour le Climat (HCC) calibrerait à 30% la baisse des émissions françaises.


Ces chiffres étourdissants sont largement dus au ralentissement économique qui a frappé l’ensemble des pays du globe terrestre. Les consommations en charbon, pétrole, acier ont diminué, de même que les rejets de CO2, du fait de l’immobilisation du trafic aérien mais aussi du parc automobile.


Source : New Delhi en 2018 et en 2020, BFMTV


Le secteur de l’aviation est certainement le secteur qui a vu le plus ses émissions de gaz à effet de serre chuter. L'organisme européen de surveillance du trafic aérien, Eurocontrol, atteste d’ailleurs d’une baisse de 55% alors que l’aviation représente autour de 3% des émissions mondiales, avec une chute plus marquée en Croatie, en République Tchèque, au Pays-Bas ou encore en Belgique. En plus d’un écroulement du trafic long-courrier, l’absence de congestion du ciel européen pourrait expliquer ces données notoires, alors que ce serait près de 50% de la flotte aérienne qui seraient restées clouées au sol, fin 2020.


Source : Le trafic aérien en Europe, avant et après le confinement, The Guardian


Au total, les émissions de gaz à effet de serre pourraient avoir diminué de près de 8%, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), une baisse conséquente qui serait six fois plus importante qu’après la crise de 2008. Or, réduire ces émissions, c’est réduire l’exposition des personnes vulnérables à la pollution de l’air et donc réduire la vulnérabilité sanitaire comme sociale.


Pour autant, ce recul des émissions pourrait-il enrayer la crise climatique qui frappe actuellement l’humanité et endiguer un effondrement programmé ?




Une éphémérité trop insuffisante ?


Si ces données sont signifiantes, elles ne témoignent pourtant que d’un arrêt artificiel de l’activité économique sur du court-terme. La durabilité de la situation est largement remise en cause car une fois la pandémie passée, les émissions de CO2 sont plus que susceptibles de repartir à la hausse, estime Lars Peter Riishojgaard, directeur du Bureau du système Terre de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM).


De plus, si les émissions routières, ferroviaires et maritimes ont largement été réduites, les livraisons et circulations de camions ou même de voitures, dans le cas des migrations pendulaires, n’en ont pas été stoppées pour autant. En Chine notamment, une étude d’Ipsos a mis en évidence la reprise de comportements individualistes et l’utilisation des voitures individuelles plutôt que les transports en commun par peur d’être contaminé par le virus. Par ailleurs, les baisses d’émissions dans le secteur industriel ne se sont pas montrées considérables, de même que les émissions liées au secteur agricole n’ont pas franchement chuté non plus.


Finalement, une baisse de 8% des émissions de gaz à effet de serre sur l’année 2020, si historique soit-elle, se révèle largement insuffisante, comme le précise Mireille Chiroleu Assouline, professeur de sciences économiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :


« C'est très faible par rapport à ce qui serait nécessaire pour réduire le risque de changement climatique. Et puis, c'est très faible aussi parce que c'est purement transitoire, c'est-à-dire que rien n'a changé dans l'économie. […] Les structures n'ont absolument pas changé... et ce n'est pas après quelques mois d'arrêt des activités productives que celles-ci peuvent avoir changé. Par conséquent, il n'y a pas d'impact à long terme de réduction des émissions. »



Quel espoir dans l’urgentisme de la crise climatique ?


On le voit, cette baisse d’émissions transitoire n’est pas porteuse d’un espoir incommensurable. Elle peut, néanmoins, être l’occasion d’une prise de conscience collective et amener à la prise de décisions allant dans le sens de l’aplatissement de la courbe des émissions de manière durable, ce que revendique notamment le professeur Petteri Taalas, secrétaire général de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM).


Dans « L’impact économique et environnemental de la crise de la COVID-19 », paru dans Le Monde d’Aujourd’hui (2020), l’équipe de Meriem Hamdi-Cherif propose d’ailleurs plusieurs scénarios « COVID-19 simulés ». Elle montre que le ralentissement économique aurait pour conséquence une baisse instantanée des émissions de CO2, « estimée ici à 6,6% en 2020 ». Or, la trajectoire des émissions étant sensibles au prix du pétrole, il s’agirait d’élaborer deux scénarios pertinents.


Dans le premier, la crise sanitaire serait couplée à une persistance des prix du pétrole bas, conséquence de la pandémie, entraînant une augmentation de l’intensité énergétique et de l’intensité carbone, comme observée au premier semestre 2020. Or, cette reprise économique induirait un niveau plus élevé des émissions « constaté dès 2020 et maintenu jusqu’en 2040 ». A noter que bon nombre de normes juridiques environnementales ont pu être outrepassées, notamment aux Etats-Unis et au Brésil, au nom du maintien de l’activité économique durant la crise. En l’absence d’une tarification renforcée du carbone, les émissions de CO2 repartiraient ainsi à la hausse du fait de la persistance des niveaux bas des cours mondiaux du pétrole.


Dans le deuxième scénario, on ajoute à la situation initiale une taxation carbone qui contribuerait à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris. La mise en place de politiques climatiques, basées sur la tarification du carbone par exemple, serait donc nécessaire afin d’éviter que les émissions de gaz à effet de serre ne dépassent leur trajectoire de référence. Selon ce scénario, elle agirait comme un « stimulus économique » renforçant la reprise « tout en empêchant une augmentation des émissions de CO2 ».


Source : La taxe carbone en faveur de la transition écologique, Vie Publique


La taxe carbone peut-elle offrir une bouffée d’oxygène à la planète ? Alors qu’elle a déjà fait trembler en France, peut-elle et doit-elle être la solution à la baisse d’émissions de CO2, dont l’exposition traduit une vulnérabilité sanitaire plus qu’urgente à prendre en compte ? La question est posée mais ce qui est sûr, c’est qu’en l’état, la crise sanitaire ne sera pas parvenue à enrayer une situation initiale largement déplorable. Espérons qu’elle permette, au mieux, de penser sa résilience.


Lucile LANDAIS



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