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La crise sanitaire vue depuis les milieux carcéraux français.

Aujourd’hui, la situation des établissements pénitentiaires ne permet pas de faire face à la crise du Covid-19. Les conditions de confinement étant déjà compliquées à mettre en place à l’extérieur, elles le sont d’autant plus en prison. En effet, comme tous les lieux où sont enfermés un grand nombre de personnes, elles sont des endroits privilégiés pour la propagation d’une contamination. De plus, le confinement imposé aux prisons, augmente fortement le risque d’émeutes à l’instar de celles qui ont eu lieu en Italie ou dans la maison d’arrêt de Nice. Il est donc plus que nécessaire de trouver un moyen d’appliquer des mesures de prévention et de prise en charge viables. Toutefois les milieux carcéraux sont surpeuplés et bien souvent insalubres, ce qui complique la tâche pour les détenu.es et le personnel pénitentiaire. 


Les mesures prises pour éviter la propagation du virus:


Dès le 17 mars, des mesures ont été prises par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, visant à limiter les difficultés sanitaires en prison. Elle déclara notamment :

  • La suppression des parloirs

  • La suspension des activités en milieu confiné

  • La mise en place d'aménagements nécessaires pour les promenades ou activités sportives en plein air ou dans en espace non confiné.

Cette déclaration fut suivie le 19 mars par un communiqué dont le but était de réduire l'impact des conséquences sur la vie quotidienne des détenu.es. Un crédit de quarante euros par mois pour les appels téléphoniques est ainsi distribué à tous.tes les détenu.es et ce jusqu'à la fin du confinement (cela équivaut à 11h de communication vers un téléphone fixe et 5h vers un téléphone portable), la gratuité de la télévision est assurée, un système de messagerie vocale non surtaxée et une aide majorée de quarante euros par mois est distribuée pour aider les plus démuni.es à accéder aux services de la cantine (achat d'extras par exemple).


Une distanciation sociale quasiment impossible :


Toutefois la question la plus urgente à traiter est celle de la surpopulation carcérale qui empêche l'application de la distanciation sociale. La loi de 1875 préconisant l'encellulement individuel plutôt que les dortoirs, est encore loin d'être appliquée. Le 1er janvier 2020 on comptait en France 70 650 de personnes détenues pour 61 080 places disponibles, empêchant par conséquent l'encellulement individuel et la mise en place de réelles mesures sanitaires. Ce problème est loin d'être à minimiser, sachant que la France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme le 30 janvier dernier, concernant les condition de détention de ses prisonniers. Ainsi dès l'annonce du confinement national, le 16 mars, les directives gouvernementales concernant la surpopulation carcérale aurait dû être considérées comme une priorité absolue, mais elles ont tardé à arriver. Certain.es magistrat.es n'ont pourtant pas attendu le feu vert et se sont organisé.es avant que les déclarations ne soient faites pour commencer à vider les prisons. Quelques juges des applications des peines se sont penché.es sur les cas des détenu.es susceptibles de basculer en liberté conditionnelle ou ayant des peines inférieures à 6 mois. 


Finalement sous la pression des magistrats et des chiffres (selon un rapport de l'administration pénitentiaire, le 24 mars sept détenu.es et 24 agent.es étaient testé.es positif.ve.s au virus, tandis que 315 détenu.es et 595 agent.es présentaient des symptômes), le ministère de la justice fit passer une ordonnance le 26 mars dont 9 articles étaient consacrés aux détenu.es. Cette ordonnance applicable nationalement, vise entre autre à faciliter des sorties de prison sous conditionnelle ou assignations à résidence. Cependant, elle est loin de faire consensus. Là où certains magistrats l'appliquent consciencieusement, d'autres la critiquent fortement pour sa faiblesse, et n'hésitent pas à s'assoir dessus. 


Des mesures jugées insuffisantes :


Si l'Etat se félicite d'avoir réussi à baisser le taux de surpopulation carcérale, le faisant passer d'un taux de 119% le 16 mars à 105% le 8 avril, la satisfaction n'est pas unanime. En effet, pour Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privations de libertés, cette ordonnance ne suffit pas. L'encellulement individuel n'est pas encore possible partout, l'ordonnance manque de clarté en ce qui concerne les détentions provisoires, et elle propose davantage des mesures de libération au "compte-gouttes" peu efficaces plutôt que des mesures collectives pouvant réellement permettre de protéger les détenu.es (grâces exceptionnelles, amnistie collective). Il est de plus à noter que la baisse du taux de surpopulation est aussi une conséquence du fort ralentissement de l'activité des tribunaux.


« C'est très difficile d'être en détention en ce moment, il s'agit d'une triple peine : la peine que les détenu.es effectuent, la peine de la peur de la maladie et la peine de la suppression des contacts ». Adeline Hazan. 


En outre, au delà des chiffres concernant la surpopulation carcérale, ce confinement risque d'entraîner des dommages collatéraux. Les détenu.es peuvent certes être contaminé.es par le virus, mais l'éloignement de leurs proches, la fermeture des parloirs, la faiblesse du  crédit accordé pour passer des appels, la proximité dû au confinement et à l'absence d'activité organisées, l'arrêt des suivis psychologiques ou se faisant par téléphones, sont autant de facteurs pouvant rendre l'encellulement insupportable. L'inquiétude est vive au sein des prisons face à un isolément extrême pouvant générer de fortes tensions. La répercussion sur la santé mentale et le suivi médical des incarcéré.es pourrait être majeure et une hausse de la courbe du taux de suicide, déjà particulièrement haute en prison, ou d'aggravation des troubles psychiatriques est à craindre. Je vous invite d'ailleurs, pour plus de détails sur les conséquences psychologiques du confinement, à lire l'article de Morgane Arzul sur ce sujet. L'inquiétude est forte aussi, concernant le manque d'accompagnement et d'aide à la réinsertion dont disposent les anciens déténu.es. Avec le confinement, nombre d'associations et de services sont débordé.es ou ont ralenti voire même cessé leurs activités, alors qu'ils sont les principales ressources accessibles aux sortant.es de prisons. C'est d'autant plus alarmant que selon l'observatoire international des prisons, en France, 63% des ancien.nes détenu.es n'ayant pas accès à un accompagnement à leur sortie récidivent dans les cinq années à venir. 


Des solutions proposées mais peu écoutées :


Face à cette situation dramatique, les initiatives venant d'associations et des instances de contrôles comme l'observatoire international des prisons ou le contrôle général des lieux de privations des liberté, ont fleuri. Une requête soutenue par l'association des Avocats pour la défense des Droits des Détenus a notamment été publiée le 8 avril. Cette requête concernait deux points : d'un côté elle demandait l'élargissement des conditions de remise en liberté pour favoriser la diminution de la surpopulation carcérale et, d’autre part, la garantie de fournir à celles et ceux qui resteraient en détention des conditions sanitaires satisfaisantes pour limiter les risques de contamination, et par conséquent, l’engorgement des services de réanimation des hôpitaux. Une requête rejetée par le conseil d'Etat. 


Aussi, le 20 avril, fût rédigée une lettre ouverte de la part du Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires, dénonçant certes la mauvaise gestion de la crise sanitaire au sein des prisons, mais surtout un système judiciaire français dont le covid-19, tout comme pour les hôpitaux, a révélé les faiblesses. Elle met en avant une organisation pénale à bout de souffle dans laquelle les directeurs et directrices pénitentiaires ne sont que trop peu associés à l'élaboration des politiques pénales. Toutefois, ironiquement, la lettre se félicite d'au moins une chose : la baisse du taux de surpopulation n'est plus un objectif impossible à atteindre. La crise sanitaire a permis de questionner les causes de la surpopulation carcérales, comme le recours fréquent à l'application de peines de courtes durées et à l'incarcération provisoire. La sortie de la crise sanitaire pourrait ainsi être l'occasion de questionner notre système judiciaire et peut-être pousser un nouvel élan de réformes. En Suède par exemple, en 2015 la moyenne était de 61 détenu.es pour 100000 habitant.es là où la moyenne européenne est près de deux fois supérieure. Ceci pourtant ne signifie pas que la criminalité a baissé mais simplement que la justice suédoise est progressivement passé à un système judiciaire qui considérait l'incarcération comme le dernier recours, privilégiant les mesures judiciaires alternatives comme le bracelet électronique ou les travaux d'intérêt général.


Jeanne COMBAT


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