top of page

La diplomatie du vaccin : le retour des nationalismes sous couvert de la solidarité ?



La célèbre phrase de L. Pasteur “la science n’a pas de patrie” ne semble plus être à l’ordre du jour dans un contexte où chaque pays entend gagner cette course effrénée pour trouver un vaccin ou protéger au plus vite l’ensemble de sa population. La lutte contre la Covid-19 met donc à nouveau en lumière des stratégies et rivalités diplomatiques jusqu’alors dans l’ombre de la bonne santé des échanges marchands et monétaires.

Dès lors, élan d’altruisme général ou exacerbation des intérêts nationaux : quelles motivations jalonnent la recherche et diffusion des vaccins ?


Une troisième mi-temps de Guerre Froide ?


Selon Pascal Boniface, la course au vaccin se polarise autour des Etats-Unis et de la Russie, ce qui l’incite à dire que “cette rivalité stratégique a un parfum de Guerre Froide”. En effet, se reconstitue presque naturellement le camp atlantiste mené par les Etats-Unis et suivi entre autres par le Japon, l’Allemagne, la France, l’Angleterre… Ainsi, les avancées américaines en matière de vaccins ont dès le début été davantage médiatisées dans le monde occidental, apportant de fait plus de crédibilité à leurs recherches qu’aux techniques russes bien souvent dénigrées. L’Union Européenne s’est d’ailleurs précipitée pour précommander ces vaccins plus “sûrs et efficaces”. Face à cela, la Russie de V. Poutine a sciemment réanimé l’imaginaire prévalant dans la seconde moitié du XXème siècle, dans un monde alors bipolaire, en nommant son vaccin Spoutnik V. Cette dénomination n’est pas sans rappeler “la course aux étoiles” des années 1950, lorsque les soviétiques avaient mis en orbite le premier satellite Spoutnik en 1957, devançant ainsi les Américains pris de court. La symbolique de cette période durant laquelle le moindre domaine était l’objet d’une folle compétition entre les deux camps, est recyclée notamment pour servir la politique nationaliste de V. Poutine. De fait, la Russie va exporter son vaccin en Biélorussie, en Algérie, en Corée du Nord ou en Syrie…. ce qui recoupe la carte des alliances du bloc soviétique. Dans cette configuration, à l’instar de la Chine “leader du Tiers-Monde” dans les années 1950, celle-ci, tout comme la Russie, tente d’être présente auprès des pays du Sud en leur fournissant prioritairement un vaccin. Cela parfait le schéma du monde bipolaire de Guerre Froide où blocs de l’Est et bloc de l’Ouest s’affrontent pendant que la Chine s’autonomise vis-à-vis du grand frère soviétique pour ancrer durablement sa présence en Amérique Latine et en Afrique.


Les vaccins : “biens communs de l’Humanité” au service des nationalismes ?


Conformément à la politique prônée par XI Jimping qui se veut l’initiateur d’une dynamique internationale pour former une “communauté de destin pour l’Humanité”, la Chine tente de rétablir son soft power en se donnant une image de généreuse puissance universaliste. Elle veut ainsi fournir les pays du Sud en vaccins en pointant implicitement du doigt l’égoïsme et le “nationalisme” des Occidentaux qui négocient les stocks de vaccins entre eux. La Chine fournit ainsi le Brésil, l’Indonésie, le Mexique, le Maroc, la République Démocratique du Congo ou encore la Turquie et comble le vide sanitaire laissé par les occidentaux. Le vaccin chinois avait ainsi, dès le début, vocation à devenir un “bien public mondial”. Par là-même, la Chine espère redorer son image et prouver au reste du monde qu’elle est capable d’offrir des solutions viables à la pandémie et de rétablir une vie “normale” plus rapidement que ses voisins. Se dessine alors une véritable “route sanitaire de la soie” qui consiste à étendre toujours plus son influence notamment dans les pays en développement et dans le but de gagner en crédibilité sur la scène internationale.


Un équilibre Nord-Sud fébrile :


Malgré les discours emplis de générosité, 90% des doses de vaccins américains ont été commandées et livrées aux pays du Nord. A ce titre, le président Sudafricain Cyril Ramaphosa s’est insurgé le mardi 26 janvier contre cette injustice en affirmant que "Les pays riches ont acheté de grandes doses de vaccins. Le but était d'accumuler ces vaccins et cela se fait au détriment des autres pays du monde qui en ont le plus besoin". La fracture Nord-Sud est donc criante et ce malgré les tentatives de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour tenter de superviser l’affectation des vaccins à tous les pays. Dans cette perspective, l’organisation COVAX a été créée par l’OMS et a déjà commandé 700 millions de vaccins afin de les envoyer dans les pays les plus pauvres. Cependant, l’emballement généré à la suite de l’homologation des différents vaccins a incité les pays à conclure des accords bilatéraux directement avec les pays producteurs. Loin du multilatéralisme voulu par l’OMS, c’est désormais la compétition qui préside y compris dans l’achat des vaccins et non plus seulement dans leur élaboration.


L’Europe : une symphonie dissonante ?


La formidable opportunité qui résidait dans une politique vaccinale européenne sonne encore comme un rendez-vous manqué pour l’Union Européenne. En effet, malgré les commandes de vaccins groupées de l’UE qui a ensuite redistribué les doses dans chaque pays membres, les signaux d’alerte et les difficultés se multiplient. La Hongrie de V. Orban a par exemple décidé d’adopter une attitude dissidente et de commander les vaccins russes, défiant ainsi l’autorité de Bruxelles n’ayant pas encore autorisé leur utilisation en Europe. De même, le Royaume-Uni entend profiter de cette course à la vaccination pour montrer à Bruxelles que sa politique vaccinale est plus efficace que la lente machine européenne. Enfin il est intéressant de noter que parmi les cinq membres permanents du conseil de sécurité des Nations Unies, seule la France n’a pas produit de vaccin. En réalité, l’Europe est pour le moment absente dans l’élaboration de nouveaux vaccins, ce qui la place de fait dans une situation de dépendance vis-à-vis des puissances extérieures.

En définitive, la diplomatie du vaccin réanime les alliances de Guerre Froide que l’on pensait éteintes et enterre sous nos yeux impuissants les louables tentatives de multilatéralisme, qu’elles soient à l’échelle européenne ou internationale. Pour remettre en marche au plus vite les engrenages économiques mondiaux et au passage profiter de cette crise pour accroître leur soft power, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Royaume-Uni ont jeté les bases de la géostratégie post-covid. La deuxième partie se joue maintenant dans les stratégies vaccinales étatiques, et à l’instar d’Israël qui vaccine plus vite que n’importe quel autre pays, la crédibilité des gouvernements nationaux se trouve conditionnée à la reprise rapide d’une vie alors déconfinée.


Rose Gabory




bottom of page