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La 'Fast Fashion' face au Covid : Les failles d'un système globalisé


"La mode passe, le style reste” disait Yves-St-Laurent. Aujourd'hui c'est surtout son impact environnemental et social qui reste, et pour longtemps. Après celle du pétrole, l’industrie du textile est la deuxième plus polluante au monde, et les méthodes de fonctionnement dans les manufactures, sont semblables à de l’esclavagisme moderne. L’industrie, déjà très controversée, a de nouveau fait les gros titres durant la pandémie au sujet des clusters dans les usines de fabrications, des contrats zéro-heure des travailleurs qui sombrent encore plus dans la précarité et des tonnes de collections produites mais jamais livrées à cause du confinement.


La crise du covid-19 peut-elle profondément remettre en question le système actuel de l’industrie textile, basé sur une fast fashion polluante et internationalisée ?


Aujourd’hui, l’industrie textile s’est basée sur la cadence d’une mode qui se veut rapide, jetable, à très bas prix et liée à l’hyperconsommation. Dans son rapport, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) indique que 100 milliards de vêtements sont vendus dans le monde chaque année, un chiffre qui a doublé entre 2000 et 2014, aidé par l’essor de la vente en ligne qui permet aux collections de sortir plus fréquemment et aux livraisons d’être rapides. L’industrie textile est le troisième secteur le plus consommateur d’eau dans le monde après la culture du blé et du riz : Entre la culture du coton et des matières premières, leur transformation en fibre textile et les multiples lavages tout au long du processus, la production de textile utilise 4% de l’eau potable disponible dans le monde.

Son bilan carbone est tout aussi désastreux, chaque année l’industrie textile émet 1.2 milliard de tonne de gaz à effet de serre (GES), soit entre 4% et 8% des émissions globales, d’après un rapport de Loom. Sur le plan social, l’industrie du textile dite « jetable » a des conséquences sociales : parmi les 75 millions de travailleurs à travers le monde, on trouve en bas de la chaîne des hommes et femmes exploités, du travail d’enfant, des salaires précaires, et des conditions de travail indécentes.


La crise sanitaire a-t-elle impacté la production textile ?


On pourrait penser qu’avec la crise sanitaire qui a limité toutes les productions industrielles dans le monde et leurs exportations, l’industrie textile aurait elle aussi tourné au ralenti, permettant ainsi de limiter les émissions de gaz à effets de serre liées au transport.


Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé.


Tout d’abord la production n’a pas immédiatement cessé : Le coût des commandes qui ont été annulées ou suspendues s’élèvent à 3.18 milliards de dollars. Ce qui signifie la production de nouveaux vêtements qui n’ont jamais été délivrés, soit l’équivalent de 982 millions de pièces.

“Mais si les commandes n’ont pas été expédiées, la pollution liée aux transports a dû chuter ?” En effet, il y a eu une baisse substantielle de ce type de pollution, mais la majeur partie des émissions de GES de l’industrie textile provient de la consommation énergétique des machines (les métiers à tisser, les cuves pour la teinture…) et de la production des matières premières (traitement du coton, machines pour le filer…), pour qu’au final la part du transport soit au final très faible.


L’industrie textile moderne est un modèle très complexe et internationalisé qui ne peut s’adapter subitement à un arrêt net des exportations et importations comme lors du confinement. En effet, pour permettre la baisse drastique des prix et ainsi permettre au ménages de consommer plus régulièrement et à moindre prix (Aujourd’hui, le panier destiné à l’habillement ne représente que 5% du budget des ménages : Il a plusieurs années, il représentait ⅓ de leur budget et la consommation de vêtements était bien moins importante), les industriels ont dû faire des choix dans leur méthode de production. Cependant la crise sanitaire a révélé les failles du système.


  • La chaîne des sous-traitants s’est allongée, rendant le sourcing complexe et la transparence impossible. Les sous-traitants sous-traitent et à chacune de ces étapes, l’ajout de plus-value est dérisoire. Toutefois chacun de ses sous-traitants a son rôle à jouer dans la conception du produit final : la fermeture des frontières a révélé l’interdépendance internationale de la chaîne de production, qu’une pandémie mondiale peut facilement déstabiliser.


  • Pour réduire les coûts des vêtements, il a fallu réduire le coût de la main d'œuvre : Les mains qui cousent, brodent et assemblent, travaillent dans des ateliers insalubres, bien souvent entassés. Ces locaux peu spacieux ne coûtent pas chers aux sous-traitants, mais ne sont pas vraiment adaptés à une pandémie mondiale : Les clusters de coronavirus qui ont été révélés notamment dans des manufactures travaillant pour Boohoo à Leicester (Royaume-Unis) en sont la preuve.


  • La Fast Fashion porte en son sein le renouvellement rapide des collections : cet enchaînement est permis par la rapidité de conception des vêtements. En général moins d’un mois s’écoule entre le moment où il est dessiné et celui où il se trouve en boutique. Or avec le confinement et le télétravail, les consommateurs ont moins consommé et ont eu de nouvelles habitudes vestimentaires : La vente des costumes a chuté de 40%, là où la vente de jogging a explosé. Cette tendance ne va pas s’arrêter avec la démocratisation du télétravail dans de nombreuses entreprises.






Les obstacles posés par la crise sanitaire pourraient-ils profondément remettre en cause le modèle de la fast fashion ? Un changement de paradigme est-il envisageable dans ce secteur ?


Face à la crise sanitaire, des failles économiques et sociales d'un système que l'on pensait infaillible se sont révélés. Bien que la meilleure façon d'avoir un impact positif semble être celle de ne plus produire et donc de ne plus consommer de vêtements dont la provenance et la conception est plus que douteuse, les grands groupes peuvent tout de même tenter de faire mieux. Quels pourraient être les facteurs de changements qui permettrait à l'industrie de s'adapter aux prochaines crises sanitaires quasi-certaines qui se profilent ?

  • Fabriquer à partir de matières premières produites localement (ex : le lin en Normandie), ou revaloriser les vêtements produits et invendus lors des collections précédentes.

  • Relocaliser les ateliers de productions et les repenser. A l'avenir ils devront pouvoir produire en consommant moins d'énergies, voire produire leur propre énergie afin d'être autosuffisant.

  • Améliorer les conditions de travail : Un salaire juste, des jours de repos et congés payés, de la considération pour le travail fourni, l'arrêt du travail des enfants et un espace de travail sain doivent être garanti à tous les travailleurs des manufactures.

  • Encadrer, contrôler et accompagner les industriels pour les encourager à utiliser des teintures, des matières premières et des modes de transports moins destructeurs pour l'environnement.


On peut espérer que cette crise sanitaire ai éveillé la conscience des industriels, des consommateurs et des autorités quant à l'impact de l'industrie textile sur l'Homme et son environnement. Toutefois, la catastrophe du Rana Plaza en 2013 (effondrement d'une usine textile au Bengladesh causant la mort de plus de 1100 ouvriers et ouvrières) semblait à l'époque aussi être un signal fort du besoin de changements sociaux du secteur, et l'on pensait que plus jamais un tel incident ne pourrait avoir lieux. Et si les changements qu'annoncent la pandémie actuelle n'étaient une fois de plus, qu'illusoires face à des facteurs économiques bien trop puissants ?



Lola Benoit






Sources :



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