La résilience : une notion critiquable ?
- Etudiant
- 21 avr. 2020
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Dernière mise à jour : 21 avr. 2020
Si l’on devait établir un classement des mots universitaires à la mode en ce moment, la “résilience” s’en sortirai certainement à une très bonne position. Tantôt utilisée dans la physique, la psychologie, dans les sciences écologiques, dans les sciences du risque voire en politique, la résilience est en effet un terme omniprésent. Le terme apparaît pour la première fois au début du XXème siècle dans le champ de la physique pour traduire la résistance d’un matériau à la pression. La résilience est alors la capacité d’un matériau à retrouver sa forme originelle après avoir subi une contrainte ponctuelle ou continue. Ce terme de résilience est progressivement approprié par les sciences écologiques dans les années 1970 avec notamment les travaux de l’écologue canadien C. S. Holling. La résilience est alors un concept qui s’applique aux systèmes complexes adaptatifs qui caractérisent nos sociétés actuelles. Il est intéressant de noter que ce terme de résilience s’est également autonomiser du domaine universitaire pour devenir une notion utilisée par les pouvoirs politiques. Les références au concept de résilience se sont multipliées dans les sommets politiques internationaux comme par exemple dans le rapport de la conférence mondiale sur la prévention des catastrophes de Kobe de 2005 qui s’intitule “Pour des nations et des collectivités résilientes face aux catastrophes”. Dans ce rapport où la notion de résilience a une place centrale, celle-ci est définie comme “l'aptitude d’un système, d’une collectivité ou d’une société potentiellement exposée à des aléas à s’adapter, en opposant une résistance ou en se modifiant, afin de parvenir à fonctionner convenablement avec des structures acceptables”. Cette inflation de l’emploi du concept de “résilience”, ne semble cependant pas être accompagné d’un questionnement critique sur les bien-fondés et les applications de cette notion. En effet, le mot de résilience apparaît comme un mot “intouchable”, “neutre” et “rassembleur”, utilisé par tous les bords politiques malgré des intérêts par nature opposés. Il semble alors nécessaire de s’interroger sur les limites d’une telle notion pour pouvoir la préciser et en faire un concept réellement opérant.
Une naturalisation des évolutions sociales
La première critique que l’on pourrait faire au concept de résilience est qu’il implique une naturalisation des évolutions sociales qui s’apparente à une vision libérale de l’organisation sociale et économique de la société. Dans les années 1990, des chercheurs tel que C. S. Holling ont ainsi utilisé le concept de résilience pour expliquer les systèmes “socio-écologiques” dans lesquels nous vivons et qui sont caractérisés par la richesse et la diversité des interactions entre ses constituants. Un système “socio-écologique” prend la forme d’un cycle qui se compose de quatre phases : une phase de “croissance rapide”, “d’équilibre stable”, “d’effondrement” puis de “réorganisation spontanée”. La résilience d’un système est alors sa capacité naturelle à se réorganiser suite à un effondrement. Elle s’inscrit donc dans une vision libérale des évolutions sociales au sens où celles-ci suivent un cycle “naturel”. En effet, tous les systèmes socio-écologiques seraient sujets dans ce cadre théorique à des cycles permanents comprenant tôt ou tard un effondrement. Les crises deviennent alors inhérentes au système puisqu’elles sont inévitables, et on peut même se demander si elles ne sont pas souhaitables en ce qu’elles permettent une réorganisation et stimulent la créativité des acteurs, à l’image de ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelle la “destruction créatrice”. La résilience entraîne donc une déresponsabilisation des acteurs des systèmes socio-écologiques étant donné qu’il est naturel que le système s’effondre et se réorganise de lui-même. On retrouve bien évidemment ici l’idéologie classique d’Adam Smith et de sa “main invisible” selon laquelle le marché s’autorégule spontanément et où l'état est nuisible (idéologie qu’on retrouve dans les théories actuelles libérales et néolibérales).
Une notion d'inspiration néolibérale ?
Les discours de la résilience semblent donc pouvoir favoriser une approche néolibérale qui entraîne un retrait progressif de l'Etat au profit d’acteurs privés et qui déplace la responsabilité face aux problèmes sociaux et environnementaux aux territoires qui seraient plus ou moins résilients. En effet, premièrement, les discours de la résilience décentralisent la responsabilité. Il est aujourd’hui plus du rôle des régions, des départements et plus généralement des territoires locaux de prendre en main la question de la résilience bien plus que l’Etat. S’il semble effectivement plus pertinent de mettre en place des politiques de gestion des risques à une échelle locale plus que nationale, il convient de pointer le fait que cette décentralisation de la responsabilité des crises à venir met en concurrence les différents territoires qui sont jugés sur leur “résilience”. Laissé à leur propre gestion des crises à venir, chaque territoire est mis en concurrence vis-à-vis des autres si bien qu’in fine, ce sera les territoires les plus “résilients” qui parviendront à survivre aux crises à venir. Secondement, il apparaît que les politiques de résiliences sont de plus en plus laissées et appropriées par des acteurs privés. Dès lors, certaines entreprises qui ont beaucoup de responsabilité dans l’effondrement écologique à venir tirent profit de ces politiques de gestion du risque et de résilience (tels des pyromanes se déguisant en pompier pour éteindre un feu qui représente des opportunités économiques). Les assurances sont par exemple les grandes gagnantes de ces stratégies libérales de résilience en proposant des offres visant à privatiser le risque (que seul ceux ayant l’argent pourront se payer malgré leur responsabilité souvent plus grande au dérèglement du climat). Autre exemple, à Nouvelle-Orléans à la suite de l’ouragan Katrina, une logique privée de gestion des risques s’est mise en place en se substituant à l'Etat et aux collectivités locales. La résilience et la reconstruction sont alors devenus sur ce territoire une opportunité économique pour de nombreux entrepreneurs. Toutefois dans cette nouvelle ville “résiliente”, les logements sociaux et services publics ont disparu au profit d’institutions privées; le prix des logements a explosé et les inégalités n’ont fait qu’augmenter.
“La pensée résiliente telle qu’elle se développe aujourd’hui au sein des discours officiels est plus conservatrice qu’elle n’y paraît. Elle est politique, puisqu’elle contribue à la permanence du statu quo des rapports de force et de domination au sein des systèmes sociaux considérés. L’approche de la résilience permet de décrire les systèmes socio-écologiques, mais néglige la signification des normes et des relations de pouvoir dans les sociétés humaines.”
Hugo Carton
Une notion floue et neutre
Au-delà des critiques “politique” et “idéologiques” que l’on peut faire du terme de “résilience”, il convient de s’interroger sur les limites “pratiques” de la notion. L’une des caractéristiques des sociétés complexes dans lesquels nous vivons (pour certains) est leur imprévisibilité. Etant donné le nombre d’interactions qu’il y a dans le système ainsi qu’aux difficultés d’analyser et de mettre en relation le nombre croissant de data, il semble en effet extrêmement compliqué de déterminer avec précision les évolutions du système. Dès lors, mesurer avec précision le degré de résilience d’un territoire semble impossible puisque nous avons une connaissance limitée des chocs à venir et de leur ampleur. Ainsi, tant qu’il n’a pas subi un choc et est parvenu à se réorganiser déterminé le niveau de résilience d’un territoire relève de l’impossible. Ceci remet fondamentalement en cause l’importance que l’on donne au concept de résilience. Bien souvent la résilience est perçue comme un objectif en soi, une propriété intrinsèque d’un système sans qu’il soit question de définir ce qu’est un territoire résilient. Or étant donné l’imprévisibilité des crises, on ne peut définir ce qu’est un territoire résilient. Dès lors, le processus qui permet de réduire la vulnérabilité d’un système relève bien plus de choix politiques que d’une science exacte. En effet, la réorganisation du système à la suite d’une crise souhaité par les discours sur la résilience implique une démarche de prospective, de visualisation, d’imagination de ce que doit être le “monde d’après”. En somme ce que l’on appelle “résilience” diffère selon notre vision du monde et selon l’évolution sociale que l’on souhaite advenir. Cette “re-politisation” de la notion de résilience permet de clarifier cette notion floue, souvent incantée comme la solution-miracle et consensuel aux problèmes climatiques actuels.
Conclusion :
En pointant les limites du concept de résilience, nous avons tenté de démythifier cette notion omniprésente dans le champ universitaire, politique mais aussi dans le débat public. Il n’a cependant jamais été question de bannir cette notion car elle permet de penser concrètement des moyens de limiter les impacts des crises à venir. Il s’agit cependant d’utiliser le concept de résilience de manière lucide en ayant conscience des implications politiques qu’il y a dans cette notion, ainsi qu’en utilisant la résilience pour répondre à des objectifs clairs et précis. Ainsi, la résilience ne peut être un objectif en soi mais doit s’articuler avec d’autres objectifs tels que la réduction des inégalités, le maintien d’un service public minimal, etc. Le mouvement de la transition initié à Totnes par Rob Hopkins fait ainsi cet emploi du mot résilience en le plaçant au cœur de son projet politique (au sens de polis). La résilience y est recherchée pour faire face “au double défi que représente le pic pétrolier et le dérèglement climatique”. La résilience est alors pensée pour faire face concrètement à ces deux chocs mais surtout elle s’inscrit dans de nombreux principes plus larges et est prise en main directement par les habitants et non par des acteurs privés qui se servent de cette notion de résilience comme moyen de profit et d’exploitation.
Note : Cet article s’appuie en grande partie sur le chapitre 7 (Une approche critique du concept de résilience) écrit par Hugo Carton dans le l’ouvrage coordonné par Agnès Sinaï “Penser la décroissance”.
Thomas LÉVÊQUE

Bonjour,
Votre article est intéressant. Comme dit Jonathan , utiliser le mot robustesse (ou anti fragile cf Nassim Nicholas Taleb) aurait un sens plus fort. Ou utiliser le mot résilience dans une optique plus psychiatrique via Cyrulnik. Bon article.
Jonathan, Manuela
Je ne suis pas sur que le mot "résilience" est un mot à bannir de notre vocabulaire. En soi, il s'agit d'un mot opérant et utile pour imaginer les impacts potentiels d'une crise. Pour cela je pense qu'il est pertinent de parler de résilience. Toutefois, je pense également qu'il est nécessaire et primordial de ne pas voir dans la résilience la solution à tous les problèmes. La résilience doit faire partie d'un programme plus politique visant en premier lieu à mettre fin à la société toxique qui est à l'origine des problèmes climatiques et écologiques, pour ensuite réfléchir à ce qu'il faudra réorganiser après la crise / effondrements.
La résilience doit être un maillon de la chaîne qui…
Merci pour cet article, il apparait vital d'avoir une approche critique de cette notion dont on a tendance à abuser ces derniers temps. Comme Jonathan je suis curieuse du vocabulaire que tu proposes face au mot de résilience.
Merci pour cet article, je suis plutôt d'accord avec toi lorsque tu soulignes que ce concept s'inscrit dans une époque marquée par le libéralisme économique; à la fois avec (New Orléans après Katrina) mais aussi contre ( Totnes et les villes en transition).
Finalement, serait-il préférable de diversifier notre langage en s'émancipant du mot "résilience", par l'usage de termes comme "robustesse" ou "résistance" ?
Merci Thomas pour cet éclairage et cette prise de recul critique sur cette notion parfois fourre-tout de résilience. Elle est en effet surutilisée dans l'espace politique et médiatique actuellement et parfois pas vraiment à bon escient. De plus, ce concept apparaît flou pour bon nombre de personnes et son emploi mériterait d'être précisé pour le rendre plus intelligible.