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Le confinement, « une aubaine pour la faune sauvage » : vraiment ?

Dernière mise à jour : 28 févr. 2021

L’arrêt et la réduction des activités humaines ont permis aux animaux limitrophes des espaces urbains d’étendre leurs territoires. Mais qu’advient-il de leurs sorts quand elles reprennent ?



« La Nature reprend ses droits ».

Quand les humains confinés ont laissé les animaux libres d’explorer leurs parkings, routes et fontaines, c’étaient autant de faits divers réconfortants qui nous laissèrent philosopher sur la résilience de la nature. Les réseaux sociaux ont relayé les dauphins du port de Marseille ou les incursions de sangliers en ville, les chants d’oiseaux habitués à devoir se taire ont inauguré un printemps moins silencieux que les autres. Depuis nos fenêtres, nous les avons observés s’approprier un territoire aride, infertile, autrefois bruyant et fébrile. Non sans une pointe de jalousie, car nous étions enfermés et eux, plus libres que jamais. Ce territoire hostile, c’était le nôtre. Nous l’avons récupéré après emprunt.


L’interdiction de déplacement en France est une mesure sanitaire mise en place pour la première fois du 17 mars au 11 mai 2020. Cette période est une date dans nos calendriers, mais dans le système-Terre, c’est une saison: celle de l’entrée en activité de la faune et la flore. Certaines espèces se déplacent beaucoup, et cet apaisement humain au cours du printemps a créé l’ouverture de nouveaux territoires. Romain Julliard, Directeur de Recherche au Muséum National d’Histoire Naturelle, citait à l’AFP l’exemple du renard : « ils changent très vite leurs comportements, quand un espace est tranquille, ils y vont ».

La réduction drastique de la circulation automobile a réduit les morts d’espèces en migration nuptiale : annuellement, jusqu’à 50.000 batraciens meurent d’une collision. D’autres populations en ont bénéficié, comme la chouette effraie, le faucon crécerelle et surtout le hérisson. Et ces animaux, portant sur eux des graines, ont indirectement favorisé la reproduction florale : plus intense dans les espaces naturels car leurs déplacements furent moins fragmentés, et peut-être même dans des niches urbaines favorables à leurs germinations.


L’interdiction des loisirs et même des métiers d’extérieur a brièvement transformé les espaces naturels touristiques en "réserves biologiques intégrales" : sans aucune intervention humaine. Ce type de politique est rare en France, où l’on préfère établir des zones protégées (Natura2000, ZNIEFF et autres réserves biologiques dirigées) plutôt que de les mettre sous cloche. Certaines espèces moins aventureuses que celles que nous avons vu dans notre habitat ont profité de cette paix retrouvée dans le leur. L’exemple saillant du faon que l’on n’a pas touché n’éclipse pas celui des mouettes mélanocéphales des bancs de sable de la Loire, dont les nids n’ont pas été retournés par les chiens, les quads et les canoés, ou encore les orchidées sauvages dont la période de floraison coïncide d’habitude avec le retour de randonneurs un peu possessifs.





Le risque sous-jacent : un effet d’aubaine rétroactif


Dans cette soi-disant reconquête de la Nature, nous avons été victimes d’un biais de confirmation en étant attentifs à l’entrée de certaines espèces dans nos paysages. Cela ne veut pas dire que la biodiversité a augmenté ou même stagné car la variabilité génétique des espèces, elle-même le moteur de la diversité du vivant, est en déclin général.



Pendant le confinement, des désavantages pour le vivant


Désœuvrés, de nombreux particuliers se sont mis au jardinage et, en s’extasiant du retour du chant des oiseaux, taillaient les haies où ils nichent et se cachent des prédateu. Ils tondaient les pelouses où se réfugie et se nourrit leur nourriture : les insectes. Une pelouse tondue ne permet pas la vie.


Les agents de terrain de l’OFB n’ont pas arrêté leurs fonctions : ainsi, des travaux non-autorisés impactant la biodiversité (par exemple en asséchant des zones humides) ont pu être entravés et jugés. Mais la police environnementale a tout de même été ralentie . Surtout, le travail des associations souvent expertes d'espèces spécifiques, actrices de recherche et principales actrices dans le sauvetage sur le terrain, était à l’arrêt pendant le confinement. La lutte contre les espèces exotiques envahissantes (EEE, une des principales causes d’érosion de la biodiversité) a aussi été mise à l‘arrêt.



Au déconfinement, le retour des pressions anthropiques


Puis les humains, en mal de nature, ont pu reprendre leurs incursions sur les espaces naturels où les espèces moins mobiles s’étaient établies paisiblement. On recensa une hausse du tourisme vert dans les territoires ruraux : l'Aveyron enregistre une augmentation de 14% de sa fréquentation entre juillet 2020 et 2021. Pourtant, avec la baisse du pouvoir d'achat, moins de gens avaient accès aux vacances. Des acteurs comme l’Office Français de la Biodiversité ont appelé à adopter les bons gestes envers les oisillons et les jeunes mammifères.


Car l'OFB en était conscient, au sortir de cette période, les mammifères mettaient justement bas, tandis que les oiseaux nidifiaient. Ainsi les espèces étaient vulnérables alors que leurs aires de répartition étaient étalées sur des zones où l’activité humaine a soudainement repris. C’est là que les petits mammifères, batraciens, oiseaux, venant de naître ou de s’établir sur un territoire, y ont été confrontés: si ça n'a pas signifié la perte immédiate de la génération, c’était par la raréfaction de la nourriture ou par la collision avec des voitures dans leurs fuites que des morts ont été recensées. On peut envisager une difficulté pour certaines populations à trouver à nouveau une place dans un autre environnement. Il est sans doute plus difficile de recréer un terrier ou un nid quand ce n'est plus la bonne période.




Les Trames vertes et bleues : respecter des frontières poreuses avec le sauvage pour mieux réguler nos interactions.


Les villes sont les forteresses de la civilisation humaine. Le désordre, donc le « sauvage » ne sont pas supposé y entrer. C’est le point que soulève Joëlle Zask dans son livre « Zoocities » qui invite à les aménager pour permettre la coexistence avec les animaux et les plantes. Celle-ci met en garde contre la dichotomie entre nature sauvage et culture ordonnée.

Le milieu urbain est aussi un environnement de vie. Certes, il est hostile, mais il abrite tout de même un micro-climat et une biodiversité spécifique. Laboratoire de l’adaptation de la faune et la flore au réchauffement climatique, il est en général 2 à 3 degrés celsius au-dessus de la moyenne avec un régime de précipitation et une résistance aux vents spécifique. Surtout, les villes sont infertiles et pourtant la flore, les lichens et les champignons trouvent toujours un interstice. Les rats, les goélands, les renards, les chiens errants, font partie de la chaine trophique qui propre aux villes. La nuisance qu’ils provoquent, la peur de la zoonose (maladies et infections qui peuvent être transmises de l’animal à l’homme, comme le covid-19) quand les animaux sauvages nous "envahissent" est relative à un défaut d’aménagement de niches écosystémiques.


Au-delà de l’essai philosophique, les niches écosystémiques peuvent être pensées dans l’espace.


A l’échelle domestique, les particuliers doivent arrêter de tailler l’intégralité de leurs haies et pelouses et au moins laisser des friches. Dans le jardinage, d’autre actions peuvent être motrices de la biodiversité, comme faire pousser des plantes mellifères pour créer une réserve d’insectes pollinisateurs. Les promeneurs en espaces ruraux et naturels doivent privilégier les applications de science participative (Pl@ntnet, Vigienature, etc…) à la cueillette d’espèces menacées.


Mais ce ne sont pas les actions individuelles qui doivent être dans le feu des projecteurs.


Revenons aux niches occupées par la faune et la flore pendant le confinement. Elles ont mis en lumière le fait que le cycle de vie des espèces : naitre, croitre, se nourrir et se reproduire, a aujourd’hui lieu sur des territoires fragmentés. Les routes et chemins de fer, zones d’activités, lampadaires, perturbent et freinent l’assouvissement de ces besoins primaires avec le bruit, la lumière et la collision avec des machines. De même dans l’agriculture, dans laquelle les parcelles sont devenues de plus en plus larges au détriment des haies qui les fractionnaient, et les milieux acqueux, sur lesquels les barrages entravent les déplacements cycliques des poissons.


Nous interruptons les mouvements naturels des autres animaux: schémadans le MOOC Tela botanica - OFB sur les Trames Vertes et Bleues

Seulement, en pratique, nous avons besoin de protéger la diversité du vivant pour continuer à survivre – nous nourrir, découvrir des médicaments, et, nous l’avons découvert en nous repliant dans nos intérieurs, être heureux. Cette imperméabilité que nous créons nous rend plus vulnérables. Alors comment conserver les effets bénéfiques sans les annuler dès le déconfinement ? En pensant différemment la limite Nature et Culture.

En termes de philosophie, oui, mais aussi géographiquement, avec les Trames Vertes, Bleues et Noires.

Ces trames sont aussi appelées des continuités, réserves et corridors écologiques. Elles identifient les trajets les plus nécessaires et les plus empruntés par les animaux et pour chaque entrave créée par l’homme, proposent une solution de corridor rendant le déplacement possible. Les ponts « toute faune » au-dessus de nos routes sont les mieux connus, car ils nous sont les plus visibles et laissent passer les grands mammifères que nous connaissons le plus : sangliers, cerfs et chevreuils. Mais il existe un large panel de passage ; verts pour les propriétés terrestres, bleus pour les milieux aquatiques et noirs pour contrer la pollution lumineuse. Pour les animaux diurnes et nocturnes de grande, petites ou minuscules tailles.

Depuis 2011, cette initiative est envisagée dans les schémas de cohérence écologique (SRCE : élaboré à l’échelon régional) obligatoirement pris en compte dans les aménagements locaux (PLU et SCOT, donc échelle de la commune, de l’intercommunalité, du parc naturel…).



Pour réduire les pressions du monde sauvage sur le monde urbain, la seule solution est d'arrêter la pression du monde urbain sur le monde sauvage. Il est impératif de prévenir l’artificialisation des sols au lieu de privilégier les mesures compensatoires. Quant à l’objectif Zéro Artificialisation Nette, il doit inclure un volet de corridor écologique sur les territoires déjà anthropisés, même dans une mesure de densification de l’habitat. Les 23 sociétés concessionnaires d’autoroute, dont l’inévitable Vinci, doivent prendre à leur charge la construction de trames vertes et bleues sur les points de rencontre de leurs réseaux.


Il faut alléger la pression sur les habitats naturels au dépend du développement foncier. Mais comment les aménageurs peuvent-ils l’envisager ? Aujourd’hui, ce régime fiscal est le volet le plus important pour les finances des collectivités : il génère des comportements d’aménagement qui détruisent la biodiversité et génèrent d’autres risques (selon les territoires : érosion des sols, feux de forêts, déficits hydriques).


Sarah Bachelart


Sources:

"Déconfinement: l'OFB rappelle les bons geste à adopter vis-à-vis de la faune sauvage" Communiqué de presse sur le site internet de l'OFB, 9 juin 2020

Catherine Calvet, Thibaut Sardier, "Joëlle Zask “Nous devons préparer les villes au voisinage d’animaux sauvages » " Libération, 29 août 2020

Agence France Presse, "Les humains sont confinés, la nature reprend ses droits" site internet de Geo, 20 mars 2020

"Aveyron : le succès du tourisme vert en pleine crise du coronavirus" site de France 3 Occitanie, 23 août 2020

Site internet de la Trame Verte et Bleue http://www.trameverteetbleue.fr


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