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Le système Chauka : en Inde, un village résiste à la sécheresse

Face à l'accroissement des phénomènes de sécheresse dans de nombreux pays du globe, la gestion de l'eau devient un enjeu sociétal majeur pour les territoires qui y sont particulièrement vulnérables. En Inde, où plus de 40% du territoire est menacé par la sécheresse, plus de 600 millions de personnes - soit près de la moitié de la population - a difficilement accès à l'eau. Cependant, un homme du nom de Laxman Singh a développé un système basé sur les techniques traditionnelles de collecte de l'eau pour sauver son village de la pénurie et de la pauvreté. Ce village, Lapodiya, est devenu un véritable oasis où la végétation a repris ses droits, et s'érige aujourd'hui en modèle pour restaurer les pâturages et irriguer les terres agricoles.



Contexte

Le village de Lapodiya est situé au Rajasthan, l'Etat le plus aride de l'Inde. C'est un petit village où vivent un peu plus de 300 familles, constamment confrontées aux difficultés du désert qui s'étend jusqu'à la frontière avec le Pakistan. Jusqu'en 1970, Lapodiya était comme tous les autres villages de la région touchés par de fréquentes sécheresses. Les pluies sont rares au Rajasthan, et les pénuries d'eau, pour les animaux et les hommes, contraignaient les jeunes à migrer vers les villes pour trouver du travail.


Mais en 1977, Laxman Singh, alors âgé de 18 ans, décide de réparer les digues le long de l'étang asséché du village. Si les précipitations lors de la mousson pouvaient être recueillies dans l'étang, on pourrait alors creuser des canaux d'alimentation pour irriguer les champs, ce qui rendrait la culture possible.


Il a d'abord rencontré une difficulté, celle du financement. Le gouvernement ne proposait pas de subventions, et aucun propriétaire ne pouvait payer la main-d'œuvre. Finalement, les villageois se sont portés volontaires pour réparer la digue. Quand les pluies sont arrivées deux mois plus tard, l'eau s'est accumulée dans l'étang pour la première fois depuis trois décennies.


En 1984, l'étang irriguait 1800 acres de terres agricoles. Le revenu moyen d'une famille, qui était pratiquement nul, est passé à 14 000 roupies par an, ce qui est suffisant pour assurer une vie confortable. Les villageois se sont rassemblés pour la cérémonie qui a donné à l'étang le nom d'"AnnaSagar": la mer de céréales.


Mais Laxman Singh ne s'est pas arrêté là, il a également conçu un programme simple mais unique de collecte et de stockage de l'eau, qu'il appelle le système Chauka.


Le système Chauka : comment rendre un territoire auto-suffisant en eau ?


Chauka signifie carré en hindi, le système repose ainsi sur une série de canaux et de fosses carrées bordées de digues de 1,5 mètres placées en damier, où l'eau de pluie s'accumule et serpente le long de la pente naturelle du terrain.



Le chauka recueille l'eau de pluie, et une fois qu'ils sont pleins, l'eau s'écoule dans la chauka adjacent, évitant ainsi un débordement. Ce système permet non seulement à l'eau de s'écouler dans les étangs voisins, mais aussi de créer des zones herbeuses sur les fosses où le bétail peut paître. Ainsi, les friches sèches qui bordent les villages ont été transformées en terres communes herbeuses, idéales pour le pâturage. Des arbres sont plantés sur ces digues afin de leur donner un support supplémentaire pour résister à la pluie.



Ces petits murs de boue fonctionnent comme des structures de collecte d'eau en ralentissant le flux d'eau de pluie et en lui donnant assez de temps pour s'infiltrer dans le sol, ce qui permet de recharger les nappes phréatiques. Après le remplissage du chauka final, l'eau excédentaire est détournée vers les étangs voisins. De plus, le fumier des animaux qui se nourrissent de la végétation agit comme un engrais naturel pour la culture biologique des aliments.


Quels résultats ?


Les habitants de Lapodiya sont principalement des agriculteurs et des éleveurs. En cinq ans, les habitants ont régénéré 50 hectares de leurs pâturages dégradés grâce à ce système. Même à la fin d'un long été, les lacs contiennent suffisamment d'eau pour les besoins de la communauté. En fait, les puits de Lapodiya ne s'assèchent jamais et les champs gardent de l'humidité même en été, ce qui permet d'avoir de l'herbe pour nourrir les animaux.


Cette technique a permis non seulement de stocker une ressource rare, mais également de recharger les eaux souterraines des pâturages et des champs. Ainsi, le système Chauka permet aux agriculteurs d'obtenir un revenu et un emploi tout en conservant l'eau et en préservant les sols. L'eau a également aidé le village a retrouver sa biodiversité (par exemple son reboisement a attiré de multiples variétés d'oiseaux).


Lapodiya est devenu pratiquement autosuffisant grâce à la culture du maïs, du bajra, du jowar, du blé, des lentilles, des arachides, des piments, de la moutarde, du fenugrec et de divers légumes.


Le mouvement de conservation qui a débuté à Lapodiya s'est étendu à 58 villages et est dirigé par les villageois eux-mêmes. Aucun organisme gouvernemental n'est impliqué. Les gens s'organisent, construisent les "chaukas", assurent l'entretien et désensablent les canaux.


Enfin, les succès à Lapodiya ont convaincu le gouvernement de l'État du Rajasthan, qui encourage désormais les communautés de tout l'État à adopter le système du chauka. Des délégations venues d'Afghanisthan ou d'Israël se sont rendues à Lapodiya pour étudier ces méthodes de conservation de l'eau.


Quelques pistes pour gérer les risques de sécheresse et les pénuries d'eau


- Une nouvelle organisation sociale : Pendant les mois d'été, quand il y a moins de travail, les habitants se réunissent pour creuser et restaurer les étangs. Lorsqu'environ deux mille personnes travaillent collectivement, un grand étang peut être réalisé en 4 à 5 jours. L'entraide pour l'autosuffisance est le mantra du système technique et sociétal élaboré par Laxman Singh.


"Les villageois doivent être encouragés à devenir les gardiens de leur village et de ses environs. Si chaque village devient une unité économique viable, harmonieuse et pacifique, alors les gens seront heureux et l'Inde sera forte. Lorsque la vie des villages s'effondre et que les jeunes sont contraints d'émigrer à la recherche de travail, les villages meurent de faim et les villes gonflent. Les deux mourront. Ce n'est pas durable" - Laxman Singh

- Mettre en place des comités de développement : Les comités de développement des villages décident maintenant de nouveaux programmes pour construire des routes, installer des robinets, mettre en place des installations sanitaires et éducatives.


- S'adapter au territoire en question : Ce système ne fonctionne pas sur tous les espaces, il est particulièrement bien adapté pour les zones de plaines arides ou semi-arides (la pente de la zone ne dépassant pas 0,5-2%). Les types de sols adaptés sont les sols loam sableux à loameux (capacité d'infiltration modérée à bonne). Les chaukas pourraient être une alternative viable dans tout processus de régénération des pâturages dans les régions arides et semi-arides ailleurs dans le monde, par exemple dans de nombreuses régions d'Australie, d'Afrique ou du sud-ouest des États-Unis.


Clara Cuny

Sources :







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