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Les larmes sèches de l'Aral : Vers la disparition de ce qui était le 4ème plus grand lac au monde ?

La mer d'Aral est située en Europe Orientale à la frontière entre le Kazakhstan au Nord et l'Ouzbékistan au Sud. Elle est alimentée par deux puissants fleuves l'Amou-Daria et le Syr-Daria. Elle se situe au milieu d'espaces désertiques. Au total, 6 pays sont concernés par son bassin : le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, le Turkménistan et l'Afghanistan.

Carte du bassin de la mer d'Aral

Adaptée de Lasserre F, Descroix L, Eaux et Territoires : Tensions, coopérations et géopolitique de l'eau (2002)


Un risque de disparition ?


En 1960, la mer d'Aral était le 4ème plus grand lac au monde par sa superficie d'eau avec environ 68 000 km², ce qui est comparable aujourd'hui au Lac Victoria en Afrique et ses 69 000 km². Depuis cette date, la mer d'Aral a perdu 9/10ème de sa surface, plus de 14 mètres de profondeur et 90 % de son volume. En 1989, la mer d'Aral s'est divisée en plusieurs parties, dont la Petite Mer au Nord et la Grande Mer au Sud. Sa superficie s'est réduite à peau de chagrin avec seulement 7 000 km². Aujourd'hui, elle serait alors aux alentours de la 25ème place.


Pourquoi cette chute vertigineuse ?


A gauche une image de la mer d'Aral prise en 2000, la ligne noire correspondant à l'étendue de la Mer dans les années 1960. L'image de droite montre l'évolution de l'assèchement en 2014, une année particulièrement difficile pour la Mer d'Aral.

Source : National Geographic. Photographie de Nasa Earth Observatory.


Les causes de cette catastrophe remontent à la volonté des autorités de l'URSS de détourner les principaux affluents de la mer d'Aral au profit de l'irrigation de cultures de riz et de coton en Ouzbékistan et au Kazakhstan. Le développement à grande échelle de ces cultures, permis par de gigantesques projets d'irrigations pour alimenter ces nouvelles terres agricoles, a privé la mer d'Aral de 20 à 60 km³ d'eau par an. Asséchée, elle a vu son niveau d'eau diminuer de 20 à 60 cm par an.

Pour ternir encore plus ce bilan, ces monocultures ont nécessité l'utilisation massive d'engrais et de pesticides extrêmement dangereux tels que le DDT, interdit en agriculture aujourd'hui en Occident, ou le défoliant orange, substance toxique employée par les Américains durant la guerre du Vietnam. De plus, la diminution du volume d'eau de la mer d'Aral a fortement augmenté sa salinité et sa concentration en agents polluants persistants venant de l'amont.


Quels impacts sur la vie ?


L'assèchement a perturbé les écosystèmes liés à la mer d'Aral. Le phénomène est brutal par rapport à l'échelle de temps de l'évolution naturelle de la planète. Cela entraîne un changement climatique local et une véritable catastrophe écologique. Le climat tempéré de bord de mer s'est transformé en un climat continental, la mer n'assurant plus son rôle de régulation. Les vents venants de Sibérie sont désormais plus puissants, entraînant régulièrement des tempêtes de sable. L'amplitude thermique s'est accrue passant de -25°C en hiver et + 35°C en été à -50°C l'hiver et + 50°C l'été aux extrêmes.

Sur les 24 espèces de poissons endémiques autrefois présentes, il n'en reste plus qu'une seule et 30 variétés de mammifères sur 70 subsistent aujourd'hui. La disparition des oiseaux suit aussi cette trajectoire. Les sables salés surnommés par les habitants les « larmes sèches de l'Aral » détruisent tout sur leur passage lors des tempêtes tandis que la hausse de la salinité et la présence de pesticides perturbent fortement la vie marine.


Le désert chasse les Hommes


De manière évidente, l'espèce humaine, faisant partie de l'environnement, est particulièrement touchée. La vie humaine est devenue plus compliquée dans la région à cause de 2 facteurs principaux :


- Des raisons économiques : Le port de la ville d'Aralsk, autrefois florissant, est désormais séparé de la mer par 80 km de désert, laissant ses bateaux naviguer sur une mer de sable. Les pêcheurs ont dû cesser leur activité et 30 000 d'entre eux ont été contraints d'émigrer. La ville d'Aralsk a perdu sa raison d'être.

- Des raisons sanitaires : les innombrables pesticides charriés par les fleuves se sont déposés au fond de la mer d'Aral. L'eau se retirant, ils sont désormais à l'air libre, balayés par les vents violents. Une forte hausse du taux de mortalité infantile est observée dans la région. Tout comme une augmentation des cas de cancers, d'anémies et d'autres maladies respiratoires liées à l'exposition à des produits chimiques.



Des raisons d'espérer ?


Au vu de la situation, des actions internationales sont pensées et mises en place. En 1994, la Banque mondiale lance le Programme d'assistance à l'environnement du lac d'Aral, qui est acceptée par les pays concernés. Il consiste en plusieurs projets de réhabilitation pour restaurer une partie du lac et mieux maîtriser les tempêtes de sable.

Il a été décidé la construction du barrage KokAral afin de barrer le détroit entre la Petite mer au Nord et la grande mer au Sud. Le barrage a permis à la Petite Mer de regagner 500km2 de superficie et de faire remonter le niveau de l'eau de plus d'une dizaine de mètres dès 2009. Une boucle vertueuse s'instaure car la concentration en sel diminue par l'augmentation du niveau d'eau, les poissons indigènes reviennent en nombre, la Petite Mer se rapproche de l'ancien Port d'Aralsk et la vie économique renaît.

Cependant, la Petite Mer ne représente que 5 % de la surface de la mer d'Aral originelle et le barrage risque de condamner la Grande Mer d'Aral au Sud en la privant d'une arrivée d'eau. Le barrage est cause de discorde entre le Kazakhstan qui en bénéficie et l'Ouzbékistan qui voit la Grande Mer disparaître. Seulement, l'Ouzbékistan n'est pas étranger à ce processus de disparition car il était toujours le deuxième producteur mondial de coton en 2011 et continuait à détourner massivement les eaux de l'Amou Daria pour irriguer les champs de coton.

De son côté, l'Ouzbékistan a décidé de planter 27 000 hectares d'arbustes saxaouls sur l'ancien fond de la mer d'Aral. L'enjeu serait double : lutter contre l'érosion notamment éolienne et réduire l'effet de serre.

Alors, malgré une diversité de parties prenantes allant des pêcheurs d'Aralsk, aux organisations internationales en passant par les pays concernés, il s'avère compliqué de lutter contre le changement climatique et la sécheresse sur le bassin d'Aral. La Petite Mer pourrait se renaturer mais la Grande mer d'Aral, qui fournissait des dizaines de milliers de tonnes de poissons par an, a peu de chance de refaire surface. A moins que ...


Des pistes pour sauver la Grande Mer d'Aral


Pour sauver la Grande Mer d'Aral et empêcher son assèchement total, dont la possibilité est évoquée par certains scientifiques dès la fin du siècle, il faudrait :


1) Réfléchir à infléchir l'orientation économique de l'Ouzbékistan et du Turkménistan qui détournent la majorité des eaux de l'Amou-Daria. Il s'agirait de favoriser une économie non basée sur l'agriculture, ou remplacer le coton par des espèces moins gourmandes en eau, et par la même occasion diminuer drastiquement la quantité de produits chimiques utilisés pour la culture du coton. Mais cela risque de mécontenter les agriculteurs locaux.

2) Diminuer le prélèvement de la ressource en eau. On peut ici s'inspirer des Kazakhs qui avaient déjà essayé de construire un barrage dès 1995, en sable et en roseaux, avant celui de KokAral. Ils s'étaient alors efforcés de puiser moins d'eau dans le Syr Daria. D'un côté, il faudrait axer sur l'efficience de l'irrigation et mettre en place des technologies perfectionnées pour l'arrosage. De l'autre côté, il faudrait mettre en place une réglementation plus stricte de l'irrigation en instaurant des seuils maximum de quantité d'eau utilisable pour les agriculteurs.


3) En dernier recours, de grands projets coûteux ont aussi été envisagés tels que creuser un canal depuis la Mer Caspienne avec une station de pompage, ou de dérouter des fleuves sibériens (Volga, Ob ou Irtych) se jetant dans la mer Caspienne au profit de l'Asie Centrale et du bassin d'Aral. Ces projets sont gigantesques mais permettraient à la mer d'Aral de retrouver son niveau original en une trentaine d'année.


Après tout, peut-être bien que le prix à payer en vaut la chandelle. N'oublions pas qu'avec l'eau vient la vie.



Gabin Marjault



Sources :


https://fr.wikipedia.org/wiki/Mer_d%27Aral#

https://www.partagedeseaux.info/L-assechement-de-la-mer-d-Aral-un-exemple-dramatique-d-une-mauvaise-gestion-par#


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