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Les relations sociales en temps de confinement : facteur de résilience ou de vulnérabilité ?

Dernière mise à jour : 17 avr. 2020


“Resilience is about relationships, not just infrastructures”

Le 17 mars 2020, à 12h le confinement est devenu obligatoire en France et signe la mise en œuvre du “stade 3” de la lutte contre la pandémie du Covid-19. C’est la première fois qu’un confinement est appliqué en France à l’échelle nationale. Cette mesure ne s’applique pas seulement à la France puisqu’aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale est concernée (3.9 Milliards de personnes selon Le Monde). Depuis plusieurs semaines, les autorités tentent de s'adapter le plus rapidement et efficacement possible à la pandémie, aux conséquences sanitaires, économiques qu’elle engendre. Cependant le confinement pose la question d’une adaptation sociale et pas uniquement physique, car penser l’adaptation des institutions à une crise ne peut se faire sans penser les évolutions des rapports sociaux, qui y sont intrinsèquement liés.


D'un côté l’isolement des personnes âgées, la montée des féminicides et des violences sur les enfants, les crises d’angoisses et les diverses scènes de violences. De l’autre des applaudissements aux fenêtres à 20h, la musique sur les balcons italiens, les chaînes d’entraide pour les personnes isolées, les dons pour les hôpitaux partout dans le monde. Si les preuves de solidarité mettent en avant le sentiment d’appartenance à un Nous, qui rassemble face à la peur du virus dans un sentiment de “faire bloc”, qu’en est-il pour les personnes victimes de violence et d’isolement ? A l’heure où les libertés individuelles les plus fondamentales s’évaporent, la vulnérabilité sociale, psychologique surgit, ce partout dans le monde. Ce bouleversement des sociabilités pose question quand à la capacité de rebond, d’adaptation de nos sociétés.


Les relations sociales, en tant que lien d’interdépendance entre individus, sont-elles un facteur de vulnérabilité sociale, psychologique, collective ou inversement au vu des stratégies d’adaptation, un vecteur de résilience ?


Plusieurs études menées sur la résilience montrent que plus le tissu social est fort, plus l’assise face à l’incertain est forte. Comme le souligne le plan de résilience de la ville de Paris, des mesures de résilience sociale sont fondamentales dans l’élaboration d’une stratégie globale de résilience . On voit apparaître dans ce plan une partie dite “sociale” parmi laquelle un objectif ,qui consiste à créer des conditions de bienveillance et d’inclusion à l’échelle de quartiers voir d’immeubles. Par exemple avec la création de jardins partagés, qui permettent de créer un espace de rencontre, une nouvelle forme de sociabilité, découlant de la responsabilité d’un espace commun. Il apparaît primordial sinon nécessaire de généraliser les logiques collaboratives et faire preuve d’intelligence collective pour faire face au Covid-19 et à la privation de libertés individuelles qui en découle.


Cependant comme le soulèvent les sociologues allemands Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim (1), l’individu est en train de devenir l’unité de base de la reproduction sociale, phénomène que l’on peut relier à la mondialisation. L’exemple le plus frappant en temps de confinement est peut-être celui du vieillissement solitaire qui devient massif. En 1900, aux Etats-Unis, 10 % des personnes âgées étaient concernées ; un siècle plus tard, la proportion s’élève à 62 %. Puisque vieillir seul, vivre en solitaire est devenu la norme, le confinement pose la problématique de la construction d’un tissu social qui soit fort, résilient et inclusif.


A la croyance confirmée de l'individualisme s’ajoute la fracture de la société en trois camps : celui du confinement en maison avec jardin, celui du confinement en appartement, celui du non confinement et de l’exposition permanente, pour assurer les besoins des autres. Lorsque l’on se penche sur les différents comportements, la rupture est immense : tous angoissent mais certains prônent l'entraide par différents réseaux, d’autres chassent le personnel soignant des immeubles, écrivent des lettres de menace, achètent 25kg de pâtes. Comment faire pour que la peur ne nous conduise pas au rejet mais plutôt à l’intelligence collective afin de construire une adaptation solide, durable sans laisser personne de côté ? Ces différentes fractures témoignent d’un creusement incontestable des inégalités


Dès lors comment établir une dynamique de relations sociales qui soit suffisamment collective, collaborative et inclusive, pour permettre à la société de faire face à cette crise ainsi qu’aux prochaines ?


Plusieurs dynamiques d’adaptation ont émergé, notamment sur les réseaux sociaux. On voit fleurir des réseaux d’entraide pour permettre aux personnes âgées de solliciter les plus jeunes pour faire leurs courses. Des formations contre le harcèlement sexuel et psychologique sont offertes par le collectif Nous toutes. Les pharmacies et certains centres commerciaux se transforment en refuges pour les femmes victimes de violences. Ces solutions d’urgence restent pour le moment des mesures de court terme, d’urgence. Cependant la mise en œuvre de ces solutions, même de court terme, peut être l’indice d’une fracture, d'une ouverture de possibles. Le défi est aujourd’hui de généraliser ces actions collectives, de les ancrer dans le temps car pour le moment elles sont localisés, éparses.


Ainsi cette pandémie fait réfléchir sur nos relations aux autres et enjoint à travailler la solidarité intergénérationnelle pour assurer la résilience sociale de la société. Construire un sentiment d’unité doit s'inscrire dans une échelle de long terme pour être ancré dans le temps. Le scénario idéal serait celui d’une généralisation, et d’une durabilité de cette solidarité intergénérationnelle, qui repenserait la marque que donne l'individualisme à la société. Pourtant de nombreux facteurs d’inertie peuvent jouer : la peur de l’autre, un urbanisme d’austérité, les inégalités économiques croissantes.


Ce scénario idéal n’est pour autant peut-être pas utopique. Effectivement il existe des réseaux de citoyens bénévoles qui créent des perspectives. Ces réseaux sont majoritairement présents dans les grandes villes, comme New York avec le Community Emergency Response Team qui sont des équipes locales d’intervention d’urgence. De même à Paris avec la création d’une carte citoyen-citoyenne en 2016, suite à l'attentat de Charlie-Hebdo (150 000 inscrits). On pourrait imaginer des décideurs publics qui activeraient davantage ce type de réseau et les généraliseraient, en dehors de la capitale.


Cette perspective nécessite de garder la mémoire des chocs/risques, tout particulièrement dans un contexte de changement climatique qui alerte sur nos capacités d’adaptations.


La pandémie du Covid-19 apparaît pour beaucoup comme une répétition générale à la crise climatique. Sous ce prisme il apparaît urgent de s’intéresser aux relations sociales en tant que vulnérabilité/résilience. Effectivement les catastrophes naturelles ont tendance à isoler physiquement de nombreux individus : tempêtes, ouragans, canicules (celle de 2003 fut fatale pour les personnes âgées car plus facilement isolées, par exemple). Or ces phénomènes sont de plus en plus fréquents, rapprochés. Ce pourquoi il devient crucial de travailler sur une capacité de rebond, d’adaptation qui soit sociale, durable et inclusive.


Manuela LAURENT


(1) Claude Fischer et Michael Hout, Century of Difference : How America Changed in the Last One Hundred Years, Russell Sage Foundation, New York, 2006.






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