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Mayotte face à la pandémie : quelles solutions pour nos territoires d’Outre-Mer ?

  • Etudiant
  • 28 mars 2020
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 17 avr. 2020

Face à la pandémie majeure du virus COVID-19, les autorités mahoraises ne cessent d’alerter le gouvernement sur le risque de crise sanitaire aiguë à laquelle pourrait être confrontée leur territoire dans les jours à venir.


Depuis le premier cas avéré le samedi 14 mars dernier, le département le plus pauvre de France connaît une courbe exponentielle. Alors que la barre des dix cas fut atteinte en moins d'une semaine, les autorités sanitaires dénombrent aujourd’hui vendredi 27 mars quarante-six cas de contamination active. Par ailleurs, l’Agence Régionale de Santé a mis en garde concernant une « sous-estimation forte du nombre de cas » en Outre-Mer.

Le premier facteur de vulnérabilité du territoire mahorais face à ce risque sanitaire majeur demeure avant tout son éloignement vis-à-vis de la Métropole (7842km les sépare, soit près de 9h de vol). Si la population mahoraise se sent isolée, les autorités sanitaires du département se sentent aussi délaissées depuis plusieurs années et livrées à elles-mêmes face à une structure de santé qui ne cesse de se dégrader.


Par ailleurs, l’extrême pauvreté de ses habitants rend le territoire de Mayotte particulièrement vulnérable. En effet, selon l’INSEE, 84% des Mahorais vivraient sous le seuil de pauvreté, élevant Mayotte au triste rang de département le plus pauvre de France. Au regard des derniers chiffres publiés par les autorités, 54% de l’habitat sur le territoire serait insalubre, 40% de la population mahoraise vivrait dans des cases en tôles, tandis qu’1/3 des habitants n’auraient pas accès à l’eau courante. Ainsi, dans ces conditions, impossible de faire respecter les gestes barrières comme le lavage de mains qui sont pourtant les seuls à pouvoir freiner la propagation du virus.


Intimement lié au souci de paupérisme, l’excessive concentration de population dans des zones restreintes contribue fortement à la transmissibilité du COVID-19. Selon le député mahorais M. Kamardine, « la densité est le véritable ennemi dans la situation actuelle ». En effet, avec 690 habitants au km2 selon le recensement de 2017, Mayotte est devenu le département le plus peuplé hors Île-de-France. Cette particularité mahoraise est notamment due à la Petite-Terre où certaines communes comme Dzaoudzi et Pamandzi avoisinent les 2700 habitants au km2. Avec la capitale Mamoudzou, ces deux espaces concentrent la moitié des habitants du département. Ainsi, la densité de Mahorais vivant dans des quartiers d’habitat, bien souvent informels, rend impossible l’application stricte des mesures de distanciation sociale.


Si la densité de la population y est particulièrement élevée, c’est aussi car Mayotte est le département français ayant la plus forte croissance démographique, devant la Guyane. Au total, la population mahoraise a doublé en l’espace de vingt ans, elle croît de 2,4% par an en moyenne, contre 0,6% par an à La Réunion à titre de comparaison.


Mais le facteur de vulnérabilité majeur de Mayotte face à cette pandémie demeure le manque inexorable de moyens et la faiblesse des services, bien plus critique qu’en Métropole et dans les autres territoires d’Outre-Mer. Le département compte en effet quatre fois moins de médecins que la moyenne nationale dans le secteur public, et jusqu’à vingt fois moins dans le secteur libéral. Les élus ne cessent d’alerter sur les carences de la structure hospitalière mahoraise, car Mayotte ne compte qu’un seul hôpital sur tout le territoire, avec seulement 16 lits de réanimation pour près de 400 000 habitants. Ainsi, avec trois hospitalisations actuellement (dont deux patients en réanimation), et rien que neuf jours de réserve d’oxygène, les médecins prévoient une saturation des capacités hospitalières dès le début de la semaine prochaine. Par ailleurs, les professionnels des structures qui peuvent venir en aide dans ce cas d’épidémie exceptionnelle ont été les premiers contaminés par le COVID-19 à Mayotte, comme les médecins, infirmières, policiers, et pompiers qui ont été comptés parmi les premiers touchés.


Aussi, les professionnels de santé soulignent les moyens quasi-inexistants dans l’Océan Indien, ainsi Mayotte serait dix fois moins équipée que La Réunion, elle-même déjà sous-équipée par rapport à la moyenne nationale. Les services de santé, de sécurité, et la population manquent en effet cruellement de masques de protection, de gels hydroalcooliques, de gants, de tests de dépistage, et de respirateurs entre autres. Ce manque important de matériel médical ne permet pas d’organiser de façon rationnelle l’hygiène sur le territoire, et M. Kamardine craint une « hécatombe » tant la situation relève d’une extrême urgence.


Par ailleurs, Mayotte est au cœur d’une crise migratoire majeure depuis de nombreuses années, inhérente à sa situation géographique. Selon une enquête réalisée en février 2019 près de 39% de la population n’aurait pas de passeport français. Les systèmes de santé étant quasi-inexistants aux Comores et à Madagascar, les autorités mahoraises craignent une arrivée massive de leurs voisins comoriens et malgaches en territoire français afin de se faire soigner. Le manque de forces de l’ordre rend presque impossible le contrôle des entrées et sorties aux frontières. Ainsi, bien que la population respecte sensiblement les mesures de confinement, elle s’inquiète des différents allers-venus qui subsistent aux frontières toujours ouvertes, et qui pourraient compromettre tous les efforts des Mahorais confinés. De plus, en raison de la mise en place d’un confinement total, le préfet mahorais a annoncé qu’il n’était plus possible d’arrêter les clandestins à la frontière, ni de les renvoyer dans leur pays d'origine le cas échéant par manque de policiers et de moyens de surveillance.


En réalité, on peut observer avec surprise un phénomène inverse ces derniers jours. La semaine dernière, les garde-côtes comoriens ont noté l’arrivée d’une dizaine de kwassas (petits bateaux de pêche comoriens traditionnels) depuis Mayotte. En effet, les immigrés, inquiets de la propagation du virus sur le territoire mahorais s’empressent de le quitter. Les polices aux frontières comoriennes, chargées toute l’année d’empêcher les départs des kwassas vers Mayotte, doivent maintenant empêcher leur retour, afin que les Comores ne se retrouvent pas eux aussi toucher par la pandémie. Malgré tout, les départs habituels depuis les Comores vers Mayotte ne semblent pas faiblir, d’autant plus que des rumeurs courent actuellement à propos d’éventuels cas avérés dans la capitale comorienne de Moroni.


En adoptant une approche systémique, nous constatons par ailleurs que le risque sanitaire lié à la pandémie de COVID-19 se juxtapose à d’autres crises déjà préexistantes sur le territoire mahorais, tels qu’un tremblement de terre de magnitude 5 relevé le samedi 21 mars dernier, ou encore une sévère épidémie de dengue qui touche gravement la population depuis plusieurs mois (près de 300 cas recensés). Par surcroît, Mayotte connaît actuellement un pic de naissance, et les maternités ont du mal à accueillir les futures mamans en cette période d’épidémies.

Il apparaît difficile d’imaginer une solution rapide et efficace pour Mayotte, au vu de l’ampleur et de la gravité de cette crise sanitaire qui met déjà à rude épreuve les territoires du continent européen, pourtant bien mieux équipés que l’Outre-Mer. Selon les élus mahorais, la singularité de leur territoire milite en faveur de mesures exceptionnelles, qu’on ne retrouverait pas nécessairement à l’échelle nationale et métropolitaine.


Ainsi, afin d’anticiper au mieux ce risque sanitaire, il s’agirait avant tout d’encourager les gestes barrières en distribuant des savons et des gels hydroalcooliques. Au regard du manque de moyens, les autorités sanitaires mahoraises en appellent à l’envoi rapide par fret aérien d’équipements de sécurité sanitaire (gants, masques, gels, etc.), de respirateurs, mais également de tests de dépistage. Le député M. Kamardine demande également l’intégration de Mayotte au protocole national d’expérimentation de la chloroquine, en effet, un vaccin contre sur le COVID-19 pourrait aider à contrer rapidement le virus alors que le territoire mahorais n’en est encore qu’au stade 2 de l’épidémie.


Afin de renforcer la lutte contre l’épidémie et de venir en aide aux populations mahoraise et réunionnaise, le président E. Macron a annoncé mercredi 25 mars dernier le déploiement d’un porte-hélicoptère au large de l’Océan Indien dont l’arrivée serait prévue entre le 4 et le 8 avril. Dans le cadre de cette nouvelle opération militaire « Résilience », le navire Le Mistral, équipé d’un hôpital de 69 lits à bord, ainsi que d’un service de réanimation et de deux blocs opératoires, viendra en soutien au corps médical local.

Néanmoins, alors que cette mesure avait été saluée par les Mahorais, les détails exacts de sa mission dévoilés dans un communiqué de l’ARS sont peu convaincants aux yeux des autorités. D’une part, Le Mistral mouillerait au large de l’île de la Réunion qui compte pourtant quatre fois plus de lits de réanimation par habitant que Mayotte. D’autre part, le navire ne serait cantonné qu’à une mission logistique de transport et de stockage, et ne serait pas armé médicalement. Par ailleurs, Le Mistral aurait aussi vocation à rapatrier les Français isolés à l’étranger, suite à la fermeture des liaisons aériennes.


Or, les élus d’Outre-mer rappellent une nouvelle fois que ni La Réunion, ni Mayotte n’ont de difficulté d’approvisionnement, que ce soit en produits alimentaires ou en produits de base, et que cette mission aurait été plus rapidement remplie par un avion-cargo. Pour faire face à cette crise sanitaire, le territoire insulaire souhaite avant tout un renfort des capacités hospitalières, ainsi que l’envoi de personnel médical et de forces de l’ordre depuis la Métropole (afin de contrôler les frontières avec les Comores notamment).


Pour le député M. Kamardine, qui ne « peut croire qu’un navire hôpital puisse venir à Mayotte en pleine crise sanitaire sans les équipes médicales dédiées à ses 69 lits d’hôpitaux potentiels », il s’agirait de revoir la mission du Mistral, et de compléter le déploiement de celui-ci par l’envoi subsidiaire de la frégate légère « Guépratte » à mi-distance entre Mayotte et Anjouan afin de prévenir activement les flux migratoires.


Enfin, toujours afin de lutter contre la propagation rapide du virus COVID-19, le préfet mahorais a pris la décision radicale de fermer tous les vols commerciaux en partance et à destination de Mayotte à partir du samedi 28 mars prochain. Ainsi, à partir de la semaine prochaine, toutes les îles de l’Océan Indien auront désormais fermé leur trafic aérien, à l’exception de rares liaisons entre La Réunion et la métropole.


Candice GABILLAUD




1 Comment


Anaïs Naze
Anaïs Naze
Apr 13, 2020

Merci pour cet article Candice, qui montre bien que les territoires ne sont pas tous égaux face à la crise du COVID et retrace bien les difficultés que rencontrent les Drom pour gérer cette dernière. En effet, il n'est pas évident pour Mayotte et l'île de la Réunion de faire face à une telle épidémie en vue des moyens qui sont à leurs dispositions, comme tu l'as très bien dit. A un mois de confinement, l'hôpital de Mayotte est surchargé et le vendredi 10 avril dernier, plusieurs patients ont été transporté jusqu'aux hôpitaux de la Réunion pour les prendre en charge. A cela s'ajoute l'envoi continuel de produits sanitaires et alimentaires depuis la Réunion jusqu'à Mayotte.

Toutefois, il convient de…

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