Notre patrimoine immatériel face au Covid-19
- Etudiant
- 23 avr. 2020
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Que nous coûte le coronavirus, au delà du domaine humain et économique? Peut-on déjà dresser un premier constat sur l'état de nos richesses immatérielles et collectives durant cette crise?
Le Covid-19 a bouleversé la société française. Il occasionne de nombreuses pertes, humaines, économiques, mais aussi certaines plus difficilement mesurables, comme le coût de la fermeture des établissements scolaires pour le savoir des élèves, la mise en danger et la probable future disparition d'artisan.es ou d'artistes indépendants ou la perte de liens social dû à l'éloignement des proches. Nous appellerons notre « patrimoine immatériel » l'ensemble des connaissances, des solidarités, des savoirs-faire, des liens sociaux, ou des richesses culturelles qui existent dans la société à l'échelle individuelle ou collective et sur lesquelles le coronavirus peut avoir un effet direct ou indirect.
Parmi toutes ces transformations, la plus visible sera certainement la disparition d'une partie importante des métiers de la culture, et des artistes indépendants. Le nombre, parfois le coût économique de ces disparitions est mesurable. A l'échelle mondiale, c'est 7 milliards de dollars de manque à gagner qui seront enregistrées à causes des annulations et des fermetures des établissements. Jean-Michel Jarre, président de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) affirme que la moitié des emplois liés au secteur culturel devraient disparaître dans le monde. Pour limiter les dégâts, l'UNESCO a mis en place le programme ResiliArt. Cette initiative part du principe que l'art est résilient, par la capacité de certaines manifestations culturelles de trouver un substitut notamment par l'organisation d’événements ou de spectacles en ligne, mais également que l'art nous rend résilient, dans sa capacité à nous apporter « évasion, réconfort et courage », à nous fédérer. Concrètement, cette opération consiste d'une part en une série de rencontres virtuelles d'acteurs importants de la culture pour débattre de l'impact de la crise, ainsi que des manières de faire subsister les artistes, d'autre part en un mouvement d'encouragement sur les réseaux sociaux. Cela est censé donner de la visibilité aux artistes et sensibiliser les décideur.ses à leur situation difficile. Mais ces activités ne font pas que grossir le PIB, et l'on expérimente en ce moment très concrètement la perte de joie, d'inspiration, de lien social, et de richesse culturelle qu'elles procurent. Le fait de ne pas pouvoir aller au cinéma, au théâtre, dans un concert, prive les citoyen.nes d'expériences culturelles, et dans certains cas (concert, festival, événement sportif) d'expérience collective, qui soudent les individus, les rendent acteurs de la vie culturelle du pays. C'est donc une perte importante en joie, en inspiration, en lien social que l'on déplore, mais aussi la sensation de la privation de quelque chose qui nous semblait acquis, dont on pouvait choisir de jouir ou non. Et notre richesse résidait dans cette liberté de choix.

Si la culture et les arts sont une des richesses immatérielles de notre société, la solidarité, et le lien social en sont également. La société française d'avant confinement se caractérisait entre autres par une désagrégation progressive du lien social, et des tensions sociales, économiques et politiques fortes, à l'image des dizaines de mouvements sociaux (Gilets Jaunes, LGBTQI, antiracisme...). Le Covid, et surtout le confinement a eu un impact prolongé sur les solidarités, dans un sens comme dans l'autre. Ce qui frappe en premier lieu c'est un regain des solidarités et du sentiment d'appartenance collective à un même pays, du fait que l'on soit toutes et tous confrontés à une situation (relativement) similaire. Ainsi, nous applaudissons à 20h pour manifester notre soutien aux soignant.es, infirmier.ères, érigés en « héros et héroïnes ». De nombreuses personnalités publiques font des dons, certaines usines de grandes marques se mettent à fabriquer des masques ou du gel hydroalcoolique, tout comme les petit.es artisan.es de quartier. Ainsi, nombreux.ses sont celles et ceux qui éprouvent le sentiment de collectivité, d'unité qu'une société peut former.
Ces bonnes nouvelles, ces gains en solidarité ne doivent cependant pas cacher les importantes fractures qui existaient non seulement avant le confinement, mais qui sont parfois creusées par celui-ci. À l'échelle des individus, on conçoit facilement que tout le monde ne vit pas le même confinement. La taille, la nature du logement (si tant est que l'on en a un), le quartier dans lequel on réside, la présence ou non d'enfants, le nombre de co-confiné.es, l'existence de violence conjugales, la possibilité de télétravail, sont autant de facteurs qui montrent qui nuancent l'idée de la solidarité, du fait que nous fassions toustes face à la même situation. À l'échelle nationale ensuite, ce type de situation de crise engendre immédiatement la recherche de coupables. Ainsi, dans un contexte de tension sociale déjà fort, la moindre erreur du gouvernement dans la gestion de la crise sera difficilement pardonné. Il se trouve que la quantité astronomique d'erreurs, tant au niveau de la gestion des stocks, de la prévoyance, que de la communication, de la part du gouvernement a eu pour effet de renforcer la défiance à son égard de la part d'une partie considérable de la population. L'exemple le plus marquant est certainement la déclaration d'Agnès Buzyn sur son inquiétude liée à la pandémie, au moment même ou elle quittait son poste de ministre de la santé. Ainsi, l'aggravation des fractures sociales et le renforcement de la méfiance à l'égard du monde politique a plutôt tendance à déliter le lien social et le sentiment d'appartenance à une seule et même communauté. Cependant, la crise contribue a faire prendre conscience certainement de l'existence de ce lien social, et de la nécessité de la préserver. Diverses forces tendent à le renforcer ou à le détruire, mais la puissance d'un événement d'actualité si massif a pour conséquence de nous interroger justement sur l'existence de ce lien social et sur ce que nous sommes en tant que collectif d'individus résidents d'un même quartier, pays, voire de la même planète.

Le domaine de la connaissance et de l'éducation se trouve aussi touché. C'est probablement celui qui est le moins mesurable, mais d'une part la fermeture des établissements scolaires, et d'autre part l'obligation de rester chez soi et de trouver à s’occuper a certainement des effets sur nos intelligences, nos capacités de réflexion et nos connaissances, académiques ou non. Dans un premier temps il peut sembler évident que, malgré la « continuité pédagogique », la fermeture des établissements scolaires a un effet direct sur le niveau des élèves. Nombreux.ses sont les enseignant.es se déclarant inquiet pour la progression de certain.es élèves, notamment les plus fragiles, celles et ceux qui ne bénéficient pas d'un environnement de travail adapté. Dans une zone REP de région parisienne, un CPE de collège explique que « 9% des élèves n'ont pas accès à internet, et 21% partagent un ordinateur avec leurs frères et sœurs. », et les professeur.es déplorent les difficultés de l'enseignement à distance : « Je suis inondée de messages prouvant leurs difficultés à comprendre un exercice, aussi facile soit-il. Chaque jour qui passe voit son lot d’élèves qui jettent l’éponge, seuls devant ces travaux irréalisables à leurs yeux », témoigne une prof d’anglais en lycée professionnel de région parisienne.
Le confinement n'est cependant pas forcément synonyme de baisse globale de notre activité cérébrale. Parmi les différentes manières de s'occuper, nombreuses sont celles qui peuvent nous apprendre des choses que nous n'aurions pas appris autrement. Par exemple, la consommation de documentaires, la lecture, les jeux vidéos, peuvent être entre autres des vecteurs de connaissances nouvelles et stimulantes pour l'intellect. Ces affirmations sont des hypothèses à prendre avec recul, étant donné la difficulté de mesurer les activités des personnes en période de confinement. Mais les gains collectif en connaissances résident certainement dans l'apparition du virus lui-même. En effet, celui-ci étant inconnu, la communauté scientifique mondiale se voit d'une certaine manière enrichie par cette apparition, au vu des études et découvertes que celui-ci va occasionner, avec notamment l'apparition d'un futur vaccin. Notre réaction à l'apparition d'un futur virus risque, en outre, d'être plus rapide et efficace à l'avenir. Tant pour le pouvoir politique que pour les citoyen.nes, le virus et le confinement peuvent-être vus comme des expériences utiles pour l'avenir, surtout compte tenu de la probable multiplication d'apparition de virus inconnus accompagnant le réchauffement climatique.
Hiram BOUTEILLET

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