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Nouvelles maladies infectieuses et bouleversements écologiques : quel(s) lien(s) ?

Dernière mise à jour : 21 juil. 2020

La planète est paralysée, à l’arrêt, stoppée dans sa course par une maladie inconnue il y a encore quelques semaines de cela. Ce nouveau type de coronavirus ne fait que s’ajouter à la liste, déjà longue, des nouvelles maladies infectieuses s’étant développées ces dernières années. En effet, une étude menée par Kate Jones, scientifique à la chaire d’écologie et de biodiversité de l’University College de Londres, montre qu’entre 1940 et 2004, 333 maladies infectieuses émergentes sont apparues, et 65% d’entre elles sont des zoonoses, i.e. des maladies transmises par des animaux. Ainsi, avant le Covid-19, ces nouvelles maladies, comme le virus Marburg, Ebola, le VIH ou le SARS, avaient déjà touché certaines régions du monde. Mais jamais celles-ci n’avaient causé une telle pandémie.


Quelles sont les causes du développement de ces nouvelles maladies infectieuses ?


Pour un nombre croissant de chercheur.ses, il existe un lien évident entre l’émergence de ce nouveau type de maladie et l’impact humain sur les écosystèmes.


- La disparition des habitats naturels : la cause majeure du développement de ces maladies


Déforestation et intensification de l’agriculture sont les principales causes de la destruction des habitats naturels. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 13 millions d’hectares de forêts disparaissent tous les ans, soit le quart de la superficie de la France. Et toujours selon la FAO, il existe un lien de corrélation entre la croissance accélérée des taux de déforestation tropicale enregistrée ces dernières années et l’augmentation des maladies infectieuses émergentes. En effet, la disparition de ces habitats est un facteur favorisant le contact entre les populations humaines et la faune sauvage, porteuse de micro-organismes que nous avons jusqu’ici rarement rencontré. Prenons l’exemple du virus Ebola, une étude réalisée en 2017 a mis en exergue que les apparitions du virus, provenant de diverses espèces de chauves-souris, sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique centrale et de l’Ouest qui ont récemment été victimes de déforestations. Les chauves-souris, forcées de quitter leur habitat naturel, ont dû se réfugier dans des arbres de zones plus peuplées. Leur salive s’est retrouvée sur les fruits des arbres des jardins et leurs excréments dans les enclos des fermes, contaminant conséquemment les animaux et les humains.


Par ailleurs, l’accès à de nouveaux espaces naturels accentue la chasse et le commerce de certaines espèces exotiques et sauvages. En plus de contribuer à leur disparition, ces pratiques favorisent la transmission de leurs microbes à des populations humaines. Par exemple, des études ont démontré que la propagation du SRAS et d’Ebola serait directement liée à la consommation de viande de brousse infectée.

Enfin, la destruction de ces habitats naturels entraîne une perte de biodiversité. Or la perte de biodiversité d’un milieu provoque la disparition des espèces nommées « cul-de-sac », i.e pouvant porter l’agent pathogène mais difficilement le transmettre, ce qui limite la propagation de celui-ci. Si cette biodiversité joue un rôle dans la limitation de la propagation du pathogène (« effet de dilution »), l’uniformisation des espèces, causée par l’élevage intensif, produit l’effet inverse : un « effet d’amplification ».


- Le réchauffement climatique : source d’un allongement dans le temps et dans l’espace des épidémies


Le dérèglement climatique a de réels impacts sur le développement d’une épidémie et sa durée. En effet, l’augmentation des températures allonge la viabilité saisonnière de certains virus, dits « température-dépendants ». Prenons l’exemple de la grippe qui, à cause d’hivers de moins en moins froids, reste actif sur une période plus longue, voire pendant toute l’année dans certaines régions tropicales.


Mais le réchauffement climatique provoque aussi la propagation géographique des maladies infectieuses, notamment celles transmises par les moustiques-tigres. Selon Anna-Bella Failloux, scientifique à l’institut Pasteur, « avant 2004, le moustique-tigre n’était pas présent en France. (…) Aujourd’hui, il est présent dans 51 départements français ».


- Un monde interconnecté : facteur accélérant la propagation des virus


À l’ensemble de ces causes abordées précédemment, il faut ajouter l’interconnexion et l’hyper-mobilité de nos sociétés. Celles-ci accélèrent terriblement la propagation de ces maladies, jusqu’à provoquer des pandémies, comme la crise du Covid-19 l’illustre. Il n’a fallu qu’environ trois mois, pour qu’un virus, apparu en Chine, paralyse le monde entier et oblige à ce que plus de 40% de la population mondiale soit confinée.


« Contre les pandémies, l’écologie »


« Contre les pandémies, l’écologie » : voilà comment Sonia Shah titrait son article publié dans Le Monde Diplomatique du mois dernier. Il est vrai que la réponse pour lutter contre la reproduction d’une telle crise tient au règlement des problèmes qui en sont à la source, c’est-à-dire des problèmes écologiques.


Dès lors, il convient de :

- protéger les habitats sauvages, pour limiter les contacts entre animaux sauvages et humains et donc limiter la transmission des microbes. C’est ce que s’efforce notamment de faire le mouvement mondial « One Health » ;

- arrêter la déforestation des forêts, notamment tropicales. D’ici 2050, il faudrait replanter un milliard d’hectares de forêts comme le préconise le GIEC. Cela permettra de rétablir des zones de biodiversité mais aussi de limiter le réchauffement climatique ;

- limiter l’urbanisation des espaces ;

- arrêter la chasse et le commerce d’animaux sauvages ;

- renforcer la biodiversité, qui joue un rôle de protecteur vis-à-vis de l’émergence des agents infectieux ;

- émettre moins de gaz à effet de serre (GES) pour éviter un réchauffement climatique mondial catastrophique. En 2050, tous les pays devront atteindre la neutralité carbone.

- favoriser la recherche dans le champ de la médecine infectieuse. Par exemple, le programme américain Predict visait à surveiller étroitement les milieux naturels dans lesquels les microbes de certains animaux seraient susceptibles de se transformer en agents pathogènes humains. Malheureusement, la politique mise en place aux Etats-Unis ne semble pas avoir compris la nécessité de telles recherches, c’est pourquoi en octobre 2019, Trump a décidé de mettre un terme à ce programme. Il est donc urgent de développer des fonds et des moyens humains et matériels pour permettre la réalisation d’études scientifiques dans ce domaine ;

- favoriser la collaboration de la médecine infectieuse avec des personnes travaillant sur la biodiversité et l’environnement.


Finalement, rien de très novateur dans cette liste. Voilà, maintenant, plusieurs dizaines d’années que les mesures à mettre en place pour lutter contre la destruction de l’environnement et le réchauffement climatique sont bien connues. Malheureusement, c’est pour l’instant une inertie effroyable qui l’emporte sur l’action nécessaire. Cette inertie au changement est peut-être due au fait que, pour certains pays, nous ne ressentions pas encore dans nos chairs l’instabilité globale du monde dans lequel nous vivons. Instabilité créée de toutes pièces par les humains – ou plutôt une partie des humains habitants dans les pays occidentaux industrialisés. Comme dit Pablo Servigne, cette crise fait office d’une véritable « crise cardiaque mondiale », qui, je l’espère, pourra être le facteur déclencheur d’une réelle prise de conscience, mais surtout d’une action immédiate pour arrêter l’anéantissement des écosystèmes.


Comme le dit Sonia Shah, nous ne serons épargné.e.s par ces épidémies « qu’à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons mis à perturber la nature et la vie animale ».



Crédit photo : L'écologie des virus, Getty / Andriy Onufriyenko



Louise LE PROVOST




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