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Que faut-il craindre d'un virus liberticide ?

Dernière mise à jour : 18 avr. 2020

Le plus communément, les gouvernements ont adopté la mise en place d'un confinement, soit des mesures de précaution pour empêcher la propagation du virus. D’autres, vont jusqu’à la quarantaine, qui vise l’isolation sanitaire des personnes contaminées, ou de celles revenant de pays soumis à l’épidémie.

Les lois appliquées peuvent alors être qualifiées de liberticides, en ce qu'elles enferment les individus avec leurs libertés. Pourtant à ce stade de la crise sanitaire, le risque de contagion est très élevé, et il apparait donc légitime d'entrer ou de prolonger un état d'urgence, qui permet aux autorités administratives de prendre des mesures restreignant les libertés en raison d'une situation spéciale. Mais faut-il pour autant recourir à une rhétorique guerrière ? Toutes les mesures prises répondent-elles uniquement à l’enjeu sanitaire ? D'expérience, certaines mesures n'empiètent que de façon marginale sur les droits des citoyens, mais d'autres ont des conséquences traumatiques comme l'internement massif des Américains d'origine japonaise pendant la seconde guerre mondiale ou des conséquences à durée indéterminée comme le Patriot Act de 2001.

Le Coronavirus est un test pour les démocraties libérales et les Etats de droit, mais tous ne souffrent pas de la même manière des restrictions de libertés. Cependant, les débordements répressifs, liberticides et mensongers sont communs, dans des proportions différentes, et la crise fait craindre des effets secondaires, qui n’ont rien de médicales.


Dessin de Manny Francisco paru dans The Manila Times, Philippines.

  • Etat d’urgence : contre les contaminations ou contre les libertés ?

Au Royaume-Uni, avant de lui même tombé malade, Boris Johnson a fait voter une loi coronavirus qui, entre autre, confère aux forces de l'ordre le droit d'interpeller toute personne soupçonnée d'être porteuse du virus. Cette loi fait craindre que les innocents britanniques d'origine chinoise deviennent la cible des répressions de l'Etat, comme l'ont été d'innocents musulmans britanniques au lendemain de la crise du 11 Septembre. De l'autre côté de l'Atlantique, certains demandent des mesures équivalentes à la suspension de l'habeas corpus. 


  • Information donnée aux citoyens : quel respect de la transparence démocratique ?

Trop nombreux sont les gouvernements qui bafouent le principe de transparence de la démocratie. La Chine, le Venezuela, l'Egypte...cachent les chiffres réels de l'épidémie à leurs citoyens qui ne peuvent donc pas lutter en conséquence. Au Liban, certains malades seraient hébergés par des organisations gouvernementales chiites et des milliers de patients seraient ainsi mis en quarantaine et cachés au reste de la population. Les fonctionnaires de santé s'inquiètent de voir des quartiers gardés par les membres du parti et des hôtels réquisitionnés pour servir de zone de confinement. Le gouvernement semble vouloir faire passer ces mesures comme de la planification alors qu'il s'agit de réponses dans l'urgence à la propagation de l'épidémie.


  • Collecte des données : mesure de confinement ou pente glissante de la surveillance de masse ?

Le 26 mars, une vingtaine de chercheurs du monde entier ont mis en ligne un « manifeste » insistant sur l’utilité des données téléphoniques en temps d’épidémie. La Chine, Singapour et la Corée du Sud ont déjà franchi le pas et le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Etats-Unis y réfléchissent sérieusement. Alors qu'en France, les citoyens seraient maîtres d'installer ou non l'application StopCovid, ces dispositifs vont tout de même brasser des données très sensibles et les scientifiques ont largement prouvé que le concept de données anonymes est trompeur. Pourtant l’Europe, qui passe pour avoir la législation la plus stricte sur la question des données personnelles, n’interdit pas ce genre de développement.


Dessin de Gado, Kenya, paru dans le Courrier international
  • Débordements violents : inévitables pour faire respecter le confinement ?

Certains pays ont, certainement à raison, plus peur que d'autres de voir se répandre le Covid-19 au sein de leurs frontières. En effet de nombreux pays d'Afrique notamment, n'ont ni les moyens sanitaires, ni les ressources économiques de lutter. Ainsi de grandes violences font rage ces derniers jours pour faire respecter le confinement, tel qu'au Rwanda où deux jeunes ont été abattus ou en Afrique du Sud où les tirs de balles en caoutchouc et les coups de fouet sont distribués de manière pas toujours justifiées. Samedi 28 Mars, un quotidien kenyan titrait "Une nuit de terreur" alors que sous prétexte de lutte contre le virus, tous les coups étaient permis aux forces de l'ordre vis à vis de la population encore dehors, avant même l'heure du couvre feu. Alors que les populations dénoncent les injustices et les inégalités, il serait aberrant de remplir les hôpitaux de victimes de bavures policières en temps d'épidémie. 


"La suspension de nombreuses libertés ne doit pas empêcher la critique des actions du gouvernement et des failles de la société." - Palius GRITENAS (Lituanie)

  • Interdiction de manifester : faut-il choisir entre mesure sanitaire et liberté ?

Avant que l’épidémie de Covid-19 ne fige la planète, les peuples se sont soulevés, pendant des mois, contre leurs gouvernements et les institutions. Selon le sociologue Gary Younge, des années d’austérité, de despotisme et de corruption ont poussé des milliers de citoyens du monde entier à porter leurs revendications dans la rue tout au long de la dernière décennie. Tout cela, sans compter la montée en puissance des mouvements de contestation écologiste ou encore féministe. L'interdiction de manifester, en tant que rassemblement de personne aggravant la propagation du virus, est certes comprise par les citoyens mais ne doit pas permettre aux gouvernements, d'ignorer ou de faire taire les oppositions. 



Toutes ces mesures d'urgence sont certes directement liés à la crise sanitaire, mais entrent dans un contexte de crises sociales, identitaires ou politiques. Les inégalités face à la crise et les mécontentements non-résolus d'avant crise laissent à penser que la situation mondiale ne fera que se dégrader, surtout si des limites aux mesures liberticides ne sont pas rapidement définies.


"La pandémie va passer. Tout passe. Le défi sera pour demain" - Nikos MARATZIDIS (Grèce)

Alors que les libertés se réduisent et que le contrôle de la population augmente, nous sommes à même de nous demander si ces mesures liberticides en resteront là après cette crise ?


Scénarios prospectifs sur les libertés
Soit la crise sanitaire de 2020 détériore la confiance de la population en leurs gouvernements car ces derniers réduisent à minima les libertés et ne respectent plus les valeurs démocratiques. Si cette hypothèse perdure, alors la crise du Covid-19 n'est pas l'opportunité d'un renouveau mais l'entrée dans une aire de surveillance et de contrôle de masse. 
En 2050, chaque déplacement des individus doit être autorisé par le gouvernement concerné.
En 2030, déjà, les assurances intégraient de nouvelles données personnelles telles que la localisation des individus et leurs fréquentations dans leurs calculs d’indemnisation, face à la hausse des violences dans les manifestations spontanées et le nombre de maladies transmissibles. Puis en 2045, à l’occasion d'un énième confinement pour prévenir d'une nouvelle pandémie, le  nombre d'État ayant aboli le droit de manifestation concerne plus des trois quarts de la population mondiale. 
A l’origine, il y a eu des réticences mais la crise climatique et le nombre croissant de pandémies, ont fini par faire confondre la détention physique, qui vise la sécurité sanitaire, et la détention politique et individuelle, qui atteint les libertés. La réglementation a aidé à toujours prolonger dans le temps ces mesures « exceptionnelles ». 
 
Soit en 2020, les libertés sont suspendues de façon volontaire par les citoyens pour permettre la bonne gestion de la crise et finalement les instances démocratiques s'en trouveront revaloriser. 
En 2050, la transparence démocratique encourage les citoyens à se sentir concernés et le taux moyen de participation aux élections dépasse les 80%. 
En 2030,  l’éducation, les hôpitaux, les forces de l’ordre, ainsi que tous les services publics ont subi une refonte complète, qui a permis de former une nouvelle génération, mieux considérée. Puis en 2045, à l’occasion de la fête mondiale des droits et des libertés, la photo réunissant les chefs des gouvernements du monde entier affichent une véritable diversité de genre, d'âge et de provenance socio-professionnelle. 
A l’origine, il y a eu des réticences de la part des instances conservatrices mais le combat collectif et l’élan de fraternité et d’égalité après la crise de 2020, ont permis de mettre fin à la hiérarchisation sociale des individus. La réglementation a aidé à refonder le fonctionnement des services publics pour garantir les droits et libertés.

« Nous proportionnons nos droits à la capacité de l’Etat à les faire respecter » - François SUREAU


Si ces dérives sont pour tant, des mesures nécessaires, c’est parce qu’elles sont une réponse directe à une crise urgente. Un parallèle peut facilement être fait avec la crise climatique qui ne pourra peut être se résoudre que par la restriction de libertés à court terme, pour augmenter celles sur le long terme. En effet, face à l’absence de résultats concrets depuis l’alerte lancée depuis des décennies, le tournant attendue par voix démocratique ne semble ne jamais arriver car trop encore, soit ne voit pas l’urgence, soit ne calcule leurs intérêts qu’à très court terme. De ce point de vue, les expériences passées nous montrent que ce qui vient supplanter ce qui parait indispensable, arrive souvent sous la contrainte. Mais la crise actuelle alarme clairement sur les éventuelles dérives liberticides et le taux de tolérance de la population. D'autant que l'article Crise sanitaire, crise de nos démocraties libérales ? d'Hélène Cauwel permet d'aller plus loin dans la réflexion sur notre Etat de droit, en s'interrogeant sur les tournures autoritaires et guerrières que prend la crise du Covid-19.  




Christiana MINAEV

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