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Santé mentale et confinement : alors, étions-nous préparés à cette crise ?

Dernière mise à jour : 27 avr. 2020

Dans son allocution du 13 avril 2020, Emmanuel Macron nous le dit sans appel : « il n’y a pas que le virus qui tue : l’extrême solitude, le renoncement à d’autres soins peuvent être aussi dangereux. » Confiner n’est pas sans incidences, et cette intuition est partagée par de nombreux.ses professionnel.les de santé. Alors, serons nous donc tous anxieux.ses ou dépressif.ves d'ici au 11 mai ?




Situation nationale : peut mieux faire


L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la santé mentale comme un « état de bien-être permettant de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté ». Nous nous intéressons ici à la santé mentale dite « négative » qui regroupe deux formes :

  1. la détresse psychologique réactionnelle (induite par les situations éprouvantes et difficultés existentielles)

  2. les affections psychiatriques, à durée variable et plus ou moins handicapantes


Les données concernant l'offre et l'utilisation de soin psychiatriques en France sont aisément accessibles en ligne sur l'Atlas de la santé mentale. On y apprend notamment que 1,8% de la population française consulte un.e psychiatre libéral.e, avec le département parisien en troisième position sur le podium  (3,5%). Pour 1000 français.es entre 18 et 64 ans :

  • 5,2 sont prises en charge pour addiction

  • 7,1 sont prises en charge pour troubles psychotiques

  • 16,8 sont prises en charge pour troubles de l'humeur

  • 63, 9 consomment des antidépresseurs, 66,3 des anxiolytiques, 33,9 des hypnotiques, et 16,4 des neuroleptiques

Il est donc correct de constater que les troubles mentaux sont un problème qui touche largement la population. Pis, l'âge moyen au décès des personnes prises en charge pour un trouble mental sévère est de 65 ans, 70 ans pour les personnes prises en charge pour des troubles névrotiques et de l'humeur, 77 ans pour les personnes prises en charge pour des traitements psychotropes. A titre de comparaison, la population générale meurt en moyenne à 81 ans.


Rouge : Taux standardisé de mortalité prématurée (avant 65 ans) par suicide (pour 100 000 hab.), 2012. Source : CepiDc, Score-Santé

Bleu :Densité de psychologues libéraux (pour 100 000 hab.), 2017. Source : RPPS, Insee



Aujourd'hui, l'absence d'accès à des soins réguliers et de qualité est donc une réalité mortelle. Des facteurs d’inertie, parmi lesquels on retrouve évidement la stigmatisation, le manque de moyens, et l'inexistence de normes (89% des entreprises ne proposent aucun accompagnement psychologique), limitent fortement la capacité de notre système de soin à prendre en charge ceux et celles qui le nécessitent.



Un confinement qui assombrit le tableau


Bien qu'au cours des dernières années, il soit arrivé à plusieurs reprises de prendre la décision de confiner soignant.es ou patient.es (virus d'Ebola ou SARS par exemple), c'est la première fois qu'un confinement connaît une telle ampleur. Les interview et études sociologiques et médicales se multiplient à travers le monde devant cette sordide opportunité. Et partout dans le monde, les préoccupations sont similaires.


D'après Linda Bauld, professeur en santé publique à l'université d'Édimbourg, de récentes études montrent une augmentation inquiétante de l'anxiété et de la dépression dans la population générale du Royaume-Unis.

Aux États-Unis, plus d'un tiers des Américains (36%) disent que le coronavirus affecte sérieusement leur santé mentale d’après l'American psychiatric association.

En Chine, des chercheurs du Centre de santé mentale de Shanghai ont interrogé près de 53 000 personnes dans une enquête publiées le 6 mars dans General Psychiatry. Près de 35% des répondants auraient souffert d'une forme de détresse psychologique. Les niveaux les plus élevés ont été observés dans le centre du pays, où les mesures de confinement ont été les plus importantes.


En France, les discours tenus sont semblables et, bien que le confinement n'ait duré à date qu'un peu plus d'un mois, les chiffres ne manquent pas.

  • D'après l'étude CoConel (coronavirus et confinement) réalisée par l'Ifop, avant l'annonce du prolongement d'un mois du confinement, "37% des enquêté.es présentent des signes de détresse psychologique", sans variation notable avec la première vague publiée en mars.

  • L'institut de sondage Opinion Way a publié plusieurs résultats : 44% des travailleurs seraient en situation de détresse psychologique, et 46% des 18-30 ans estiment que le confinement présente des risques pour leur santé mentale.

  • Une autre étude menée par QAPA en début de confinement indiquait que "57% des salariés pensent avoir besoin d’un accompagnement psychologique par la suite".


Parmi les symptômes, on retrouve le plus souvent l'exposition la solitude, à un stress prolongé ou des troubles du sommeil. Moins courant mais tout aussi marquant, on peut prévoir la survenue de pathologies psychiatriques sévères comme des addictions, dépressions, crises d'angoisse, troubles obsessionnels, psychoses ou délires autour de la fin du monde, voire syndromes post-traumatiques pour les individus exposés à des violences. Sans compter les difficultés rencontrées par les proches des décédés, qui n'auront pu effectuer leur deuil sereinement. Dans une interview donnée au magasine Usbek & Rica, le psychiatre Wissam El Hage souligne que le climat anxiogène de même que la destructuration du quotidien atteint tout particulièrement les personnes diagnostiquées et suivies pour leur pathologies mentales.

"L'autre difficulté réside aussi dans l’accompagnement : un certain nombre de patients ont des difficultés de compréhension ou d’accès à l’information fiable. S'il n'y a pas quelqu'un pour traduire ces consignes, ou les accompagner, dans le cas des patients les plus fragiles avec un handicap, ça devient très problématique..."

On peut donc en déduire que certaines populations sont plus exposées au risque de troubles psychologique que d'autres. Le plus souvent, il s'agit des mêmes individus que ceux exposés au risque de contamination (c'est à dire les travailleur.euses de première nécessité, les personnes âgées isolées ou handicapées). Ces distinctions sont par ailleurs assez superficielle puisqu'il arrive souvent d'appartenir à plusieurs catégories. Si vous souhaitez approfondir certaines de ces thématiques, je me permet de vous rediriger vers le très complet travail de mes camarades :

  • Les personnes précaires

  • Les personnes à risques face au virus

  • Les victimes de violences conjugales ou de maltraitance

  • Les personnes incarcérées

  • Les soignant.es

  • Les personnes souffrant de troubles psychotiques et/ou de l'humeur

Du positif dans tout ça ?


Voilà une réalité bien sombre. Mais il semblerait que l'on puisse en sortir grandis. D'abord, parce que (c'est une supposition défendue par plusieurs professionnel.les de santé mentale, notamment notre psychiatre Wissam El Hage) le confinement nous expose tous à des réalités qui forment le quotidien de certain.es patient.es. Irritabilité, sautes d'humeur soudaines, pensées obsessionnelles, angoisses et incapacités à sortir ; on peut avancer l'hypothèse qu'après avoir vécu cette situation, la population manifestera plus d'empathie à leur égard.

En plus, parce que les initiatives publiques comme individuelles solidaires se multiplient, et que l'on peut envisager qu'elles subsistent à la crise. Le site Psycom tente d'en faire un recensement exhaustif ; par souci de clarté, nous n'en citerons que quelques uns.


  1. Depuis le mois de mars, un numéro vert de soutien psychologique spécial COVID-19 disponible 24h/24 a également été mis en place par le ministère de la Santé (0 800 130 000).

  2. La Fondation FondaMental a pour sa part créé la plateforme « CovidÉcoute », conçue par des professionnel.les formés à la gestion du stress. Elle donne accès à des téléconsultations permettant de choisir un.e thérapeute (psychiatres, addictologues, psychologues) selon son profil, et à plusieurs séances de méditation.

  3. Sur le réseaux sociaux, des communautés se forment et s'organisent pour gérer collectivement le stress et se rassurer. A titre d'exemple, nous vous présentons le compte Instagram corona_anxieux_united, qui comptabilise plus de 3000 abonné.es.




Assurer la prise en charge efficace des maladies mentales avant, pendant, et après les crises

Étions nous donc préparés à cette crise ? Pour reprendre les mots de notre président : à l’évidence, pas assez. Pour réparer cet écueil, deux solutions indispensables et interconnectées : installer des dispositifs durant le confinement, et préparer son lendemain.


Ainsi, une comparaisons de 24 études par des chercheur.euses du King’s College parue dans The Lancet sur les conséquences psychologiques des mise en quarantaine dévoile que certains facteurs augmentent l’occurrence et l'ampleur de troubles psychologiques :

  • la durée de la quarantaine (il ne faut pas prolonger la quarantaine inutilement)

  • la peur de l’infection

  • l’ennui

  • le manque d’information

  • le mauvais approvisionnement en denrées alimentaires

  • le sentiment de libre arbitre (si la quarantaine est volontaire, les risques sont moins importants)

  • La perte financière (la détresse socioéconomique étant un facteur de risque de symptômes de troubles psychologiques, de colère et d'anxiété)

Dans l'ensemble, cette revue suggère que priver les gens de leur liberté pour le bien public au sens large est souvent litigieux et doit être traité avec soin. Pour les citer :

"Si la quarantaine est essentielle, nos résultats suggèrent que les autorités devraient prendre toutes les mesures pour garantir que cette expérience soit aussi tolérable que possible pour les personnes. Il existe des preuves suggérant que des groupes de soutien pour les [confiné.es et les soignant.es] peuvent être utiles. Une étude a révélé qu'avoir un tel groupe et se sentir connecté à d'autres qui ont vécu la même situation [...] pourrait fournir aux gens le soutien qu'ils ne reçoivent pas d'autres personnes."

Le déconfinement promet par ailleurs d'apporter avec lui un rebond de la demande de soins, auquel il convient de se préparer. Dès le 23 mars, le Syndicat des psychiatres français (SPF) demandait ainsi que soient déployés les moyens nécessaires pour assurer la prévention comme la continuité des soins. La crise pourrait ainsi être "l'occasion de tenter de voir comment on pourra redémarrer différemment, sans devoir attendre des mois pour un rendez-vous," espère son président, Maurice Bensoussan. D'ores et déjà, le SPF cherche à "mettre en place un lien plus étroit avec la médecine de ville, développer des pratiques collaboratives" afin d'être "disponibles pour répondre à de nouvelles demandes" et "préparer l'après-Covid".

Et après ?


Lors des grandes catastrophes naturelles, des guerres ou des crises sanitaires d’envergure, l'État, aidé du corps médical, a toujours fait très attention aux conséquences psychiatriques et addictives. Les efforts à fournir dès aujourd'hui pour assurer le fonctionnement de notre système de soins (qu'ils s'agisse de préserver notre santé physique ou mentale) ne seront par conséquent jamais gâchés. Il s'agit non seulement de faire face à la crise actuelle, aux deuils et privations qu'elle induit, mais aussi à toutes celles qui suivront. La santé mentale est un enjeu de société ; il convient de la mobiliser toute entière pour la soigner.


Morgane ARZUL




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